L'Enfant et le Remorqueur Remacle Maréchal (1796 - 1871)

« Oh ! viens ici, papa ! c'est comique ; vois, vois
Tous ces arbres s'enfuir ! Quelle frayeur les gagne ?
Mais vois done ! ils sont fous, je crois ! »
Ainsi fait éclater sa voix
Un joli petit blond que son père accompagne,
Et qu'emporte par la campagne
Le vol d'un puissant remorqueur.
Inoccupé du monstre à la sifflante haleine,
Qui bientôt disparait avec lui dans la plaine,
Et sourd au vain caquet du commis-voyageur
Dont les fades propos font monter la rougeur
Au front de la vierge confuse,
À la vitre, debout, l'enfant joyeux s'amuse
A regarder, pareils à de légers oiseaux,
Hommes, brutes, buissons, arbres, maisons, châteaux,
Passer et s'envoler, et, dans sa gaîté folle,
Applaudit, sans songer que c'est lui qui s'envole.
Il regardait toujours, quand tout-à-coup voilà
Qu'à son but la machine arrive...
« Mon Dieu ! Sommes-nous déjà là,
Dis donc ? » Crie aussitôt dans sa stupeur naïve
L'aimable enfant à son papa.
Hélas ! tel est de Liége à Rome,
De Romeau Monomotopa,
Le grand enfant qui s'appelle homme.
Inattentif au temps qui l'emporte en son cours,
Comme le vent fait d'une plume,
Il regarde passer et s'envoler les jours ;
Après le jour serein le jour chargé de brume ;
Après le bal magique et ses plaisirs trop courts,
La chambre monotone où l'ennui le consume ;
Les dégoûts après les amours ;
Puis la fortune et tous ses tours ;
Un procès qu'on perd ou qu'on gagne ;
Hausse des fonds français ; baisse des fonds d'Espagne ;
Puis un peu plus tard au rebours ;
Puis... et l'enfant est là qui regarde toujours,
Quand survient la secousse au milieu du prestige !
De s'écrier alors : « C'est incroyable ! où suis-je ?...
Déjà, mon Dieu ! déjà ! Quoi donc ! ai-je rêvé ?... »
Pauvre enfant ! la surprise a pâli son visage :
Au sépulcre muet, terme de son voyage,
Le remorqueur est arrivé !

Livre I, fable 3




Commentaires