Dans son manteau d'hiver la terre sommeillait ;
Sous le givre brillant, en girandoles blanches
Les grands sapins arrondissaient leurs branches
Que la brise âpre soulevait.
Chassé du bois par la famine,
Tendant au vent son museau noir,,
Tirant le pied, courbant l'échiné,
Un Loup se demandait : « Souperai-je ce soir ? »
Il marchait tristement, quand s'offrit à.sa vue
Certain objet cornu sur le chemin couché j
C'était, par quelque pâtre en cet endroit perdue,
La peau d'un bouc fraîchement écorché;
Pour un affamé, maigre aubaine !
Faute de mieux, pourtant, il allait en tâter,
Lorsqu'une invention soudaine
Dans son cerveau vint éclater :
« Comme un certain Jacob dont parle la Genèse,
Se dit-il, je pourrais, lorsque viendra la nuit,
Couvert de cette peau, m'introduire sans bruit
Dans quelque ferme, y souper à mon aise,
Et, dès le petit jour, m'éclipser — à l'anglaise. »
Aussitôt dit, aussitôt fait :
Le tour était chanceux j mais F estomac criait.
Voilà donc en bête honnête
Mon scélérat déguisé :
Le soir était venu ; c'était un jour de fête ; -
Plus d'un fermier devait s'être grisé;
Évidemment le Ciel l'avait favorisé.
Il avise une métairie,
S'approche à pas de loup (tout naturellement),
Et, d'une voix à grand 'peine adoucie,
Il se met à bêler assez artistement.
Le berger, qui dormait, se lève, ouvre la porte :
« Que fais-tu là, dehors ? Que le diable t'emporte,
Bête maudite ! » lui dit-il.
Et d'un coup de pied peu civil
Faisant honneur à son entrée,
Il le conduit vers la chambrée
Où dormait le troupeau bêlant
Paisiblement.
Le traître enfin touchait à l'heure désirée,
Et rien qu'à l'odeur du chevreau
Il se pourléchait le museau,
Quand le berger, qui lui faisait cortège,
Vit derrière mon animal
Quelque chose de noir qui traînait dans la neige :
C'était sa queue, oubli fatal !
Cet objet perdit tout ! L'autre, gaillard solide,
Se saisit d'une fourche en criant : « C'est le loup ! »
Les fermiers d'accourir ; chacun donna son coup ;
Un mâtin vigoureux acheva le perfide,
Qui rendit à Satan son âme fratricide.
De politique on aura beau changer ;
Qu'elle soit rouge, blanche ou bleue,
Pour les partis le vrai danger
C'est leur queue.