La Guenon privée et ses Compagnes Théodore Lorin (19è siècle)

Le proverbe le dit : L'habit, le capuchon,
N'ont jamais fait le moine. Une belle guenon
Par certain bateleur avec soin élevée,
De son maître portant l'élégante livrée,
Toute brillante et d'or et de Satin,
Dans les bois paternels s'enfuit un beau matin.
Je laisse à penser quelle joie
On eut de la revoir. Le riche habit de soie
Et le galant accoutrement
Que portait cette ancienne amie
De plus d'une guenon excitèrent l'envie,
Et par derrière, en la flattant,
On lui fit bien quelque grimace ;
Enfin, de ce haineux et triste sentiment
L'admiration prit la place.
On ne pouvait douter de son rare talent ;
Puis, elle était si belle et si majestueuse !
Bref, comme reine de ces bois
On la choisit d'une commune voix.
Tout allait pour le mieux, et notre ambitieuse
Avec enivrement savourait le succès,
Lorsque, dans une guerre urgente et périlleuse,
Elle dut au combat conduire ses sujets.
Elle avait bien appris mille tours de souplesse,
Avec grâce marchait et dansait à ravir ;
Mais de quoi pouvaient lui servir
Ses charmes et sa gentillesse,
Quand il fallait, bravant et travaux et dangers,
À la tête de ses compagnes
Parcourir des lieux étrangers,
Traverser des torrents et gravir des montagnes ?
Dans une molle oisiveté
Ayant dissipé son jeune âge,
Le timide animal n'avait ni le courage,
Ni la mâle vigueur, ni cette activité
Que demande la royauté.
Au milieu d'une affreuse et vaste solitude,
Où par son imprudence, en fuyant les combats,
La téméraire avait égaré ses soldats,
Elle mourut de faim, de soif, de lassitude,
Et dans son malheur, en mourant,
Entraîna le peuple ignorant
Qui pour reine l'avait choisie.
« Hélas ! s'écria tristement
Une pauvre guenon près de perdre la vie,
Nous payons cher notre choix imprudent !
Jamais des agréments futiles
Ne pourront dans un gouvernant
Suppléer le courage et les talents utiles. »

Livre V, Fable 4




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