Deux beaux enfants, bien sales, bien heureux,
Ayant l’œil vif, blanches dents, frais visage,
Deux Savoyards enfin, émigrés du village,
Sur nos boulevards tout poudreux
Tâchaient de retrouver les jeux du premier âge.

C’était, Messieurs, pour le moment,
Les bonnets qu’ils mettaient en danse,
Ils les lançaient en l’air, et je ne sais vraiment
En l’honneur de quelle puissance :
Ce que je sais, c’est que l’un d’eux,
Victime d’un coup hasardeux,
Sur le sommet d’une branche traîtresse
Vit tout-à-coup son bonnet suspendu !
Il jette le cri de détresse,
Étend les bras et reste confondu.
Si vous avez jamais perdu
Un trésor ou votre maîtresse,
Vous n’étiez pas plus éperdu !
1l marche, il cherche, il pleure, il court, se désespère,
Invoque ses amis, et le ciel et la terre,
Prend des cailloux, les bâtons des passants.
Efforts perdus ! soins impuissants !
Le bonnet brave tout, tout ! jusqu’à l’escalade !
Jacquot au désespoir, certain d’être puni,
Fit un trait dont je suis encor honteux pour lui.
- Il saute sur le camarade,
Arrache son bonnet, le lance avec fureur !
Dans le plus épais du feuillage
La couronne du ramoneur
Reste accrochée… et, voyez la noirceur,
Jacquot sourit à son ouvrage,
Et de son compagnon les cris et les douleurs
Dans ses yeux ont tari les pleurs !

Vous êtes indignés d’un pareil caractère,
Je le suis comme vous ; mais point tant de colère,
Êtes-vous donc meilleurs ? dans un cuisant chagrin,
Je sais que cette histoire est semblable à la vôtre,
Et que le malheur du voisin
Souvent nous console du nôtre.

Fable 11




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