L'Hirondelle et le Papillon Valéry Derbigny (1780 - 1862)

Dans un champ parsemé de fleurs
Un Papillon voltigeait à sa guise,
Ne soupçonnant ni danger ni surprise,
Et se croyant libre, d'ailleurs,
De parcourir les bois, les vergers et les plaines,
De Flore, enfin, tous les riants domaines,
Pourvu qu'en somme il voulût pour autrui
La liberté qu'il réclamait pour lui.
On voit qu'il ignorait le monde et sa science ;
Et que le vif éclat des Heurs de la saison
Fascinait ses regards et trompait sa raison.
Mais le malheur, qu'on nomme expérience,
Vint lui donner bientôt sa première leçon.

Comme il volait sans défiance,
Une Hirondelle, en rasant un sillon,
Passant et repassant vingt fois à la traverse,
De son aile rapide atteint le Papillon,
Et l'étourdit, et le renverse.
Il se croyait perdu. Ce n'était pas un jeu.
De ce coup, qui faillit lui briser une antenne,
Après quelques moments se remettant un peu,
Faible pourtant, s'accrochant non sans peine
Au frêle appui d'une lige incertaine,
Du haut de cette tige, il adresse avec feu
A l'Hirondelle qui repasse
Ces mots dictés par son courroux :

« Eh quoi ! madame, comme vous
Ne peut-on librement circuler dans l'espace ?
Et l'empire de l'air est-il donc si petit
Que vous et moi n'y puissions trouver place
Sans nous heurter ? » — Après qu'il eut tout dit,
L'Hirondelle, un instant faisant trêve à sa chasse,
Se pose et lui répond : « Perché sur votre échasse,
Mon beau petit, vraiment, vous parlez d'or.
Que vous êtes novice encor
De m'en vouloir, à moi, lorsque je vous pourchasse !
Eclos de ce matin, vous seriez moins surpris
Des choses d'ici-bas si vous pouviez comprendre
Que l'hirondelle est au monde pour prendre,
Les papillons pour être pris.
C'est une loi d'en haut. C'est l'éternelle histoire
Du fort contre le faible ; et s'il vous plaît de croire
Le peu que mon bon sens et l'âge m'ont appris,
Dans ce sort à subir par tous tant que nous sommes,
Faites, sans m'en vouloir ni me rien envier,
Comme les animaux font à l'égard des hommes,
Comme le daim timide auprès du loup cervier,
Comme je fais moi-même en fuyant l'épervier :
Tâchez de m'éviter, car si je vous rattrape,
Suivant le droit que Dieu donne à nos appétits,
Je vous culbute, je vous happe,
Et je vous porte à mes petits. »

Livre I, Fable 3




Commentaires