Tout est prévention. Aux yeux du vermisseau,
L'oiseau le plus joli, qui chante comme un ange,
Est un diable incarné. Pourquoi cela ? l'oiseau
Fait du ver ce qu'à jeun le loup fait de l'agneau ;
Car tout mange ici-bas : toutefois, chose étrange !
Chacun trouve à redire à celui qui le mange.
« Quoi ! ces tigres à plume engloutiront tout sec,
En un festin, dix fourmilières ?
Pour un déjeuner froid, des nations entières
Leur passent par le bec !
Mais, loin que le soleil recule à leurs rapines,
Le ciel leur donne asile !... Et puis, chantez matines !
Comment donc échapper ? en gardant la maison ?
C'est bien dit, qui le peut : heureux le limaçon
D'avoir un bon chez soi ! mais moi, qui suis la fille
D'un prolétaire, et n'ai pour toit, sous l'horizon,
Que l'ombre d'une feuille, et feuille de charmille,
Que faire, hélas !... bàtir ? Moi ! que je sois maçon ?
Sans truelle ? Jamais castor de ma famille,
Dans l'art des bâtiments m'a-t- il donné leçon ? »
C'est ainsi que, de peur, raisonnait la chenille.
La peur ouvre l'esprit, et forme la raison.
Si bien que, de fil en aiguille,
La peureuse devint fileuse, de façon
Qu'elle s'ourdit une coquille.
A quelque temps de là, quand la jeune saison
Fit aux plantes pousser tige et feuilles nouvelles,
Une douce chaleur, échauffant sa prison,
Fait pousser à l'insecte une trompe et deux ailes
La chenilles/strong> sort papillon.
C'est son tour de monter à la voûte éternelle.
«Vive Dieu ! m'y voilà ! je suis oiseau, dit- elle
En s'élevant dans l'air tout comme un oisillon !
Mais que vois-je là-bas ? de quelle trace impure
Cette canaille immonde outrage la verdure !
C'est peu qu'en vrais Janots, ces petits maraudeurs
Coupent leurs blés en herbe, et dessèchent les fleurs
Dans les boutons rongés avant l'âge d'éclore :
Leur morsure, au rameau privé de ses couleurs,
Laisse un venin qui le dévore !
Et voilà ce qu'un rustre ose nommer mes sœurs !
Des chenilles ? un ver qui rampe et que décore
Le beau titre d'empoisonneur ?
L'aimable parenté pour un oiseau d'honneur !...
Qui ? moi ! de ces propos subir l'ignominie !
A cette race, objet de haine et d'avanie,
Permettre qu'on allie et ma race et mes mœurs ?
Non, je dois, dans leur source, arrêter ces noirceurs.
Je le dois à mon sang, à moi. Qu'un prompt supplice,
Étouffant le soupçon, avant qu'il ne grandisse,
Nous venge... et de l'esprit m'ôte ces vers rongeurs !
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D'un ébène assez dur pour être échenilloir,
Avant qu'il soit midi, j'échenillais le monde.
Vains regrets ! les manger surpasse mon pouvair.
Dénonçons-les ?... si donc ! ce terme de police
Jetterait sur mon zèle un nuage trop noir !
Les révéler vaux mieux ; c'est devoir en justice :
Cela met en crédit ; et je pourrai me voir,
Comme tel qu'à ce prix l'écarlate décore,
Procureur général de Pomone et de Flore.
Peste ! la bonne idée ! Ace brillant espoir
Hâtons-nous de lâcher la bonde :
Et livrons (puisque ainsi l'on parvient dans le monde),
Cette vermine à ses mangeurs. »
Cela dit, aux oiseaux l'insecte vole : « Frères !
Nous tous, que le destin établit les vengeurs
Des divinités bocagères,
Pour remplir ces devoirs imposés à nos pères,
Unissons nos talents ; le succès est certain :
De tout être qui rampe il faut faire une fin.
Vous avez le bec fort, j'ai les ailes légères
Et, ce qui vaut mieux, le nez fin.
Suivez-moi ; de longtemps je connais le chemin :
Il n'est rameaux, buissons, ni feuilles potagères,
Où l'ennemi... Vraiment ! je ne sais pas pourquoi
Je me trouve savant dans ces sortes d'affaires !
Fut-il rien de commun entre un insecte et moi ?
N'importe ! hors des rangs je me place en vedette :
Vous suivez au pas, sans trompette.
Le combat n'étant qu'un festin,
La guerre est bonne à faire, et sera bientôt faite.
A moi l'adresse, à vous la gloire et le butin ! >>>
A peine il achevait, une honnête hirondelle
Pousse au nez du mouchard éclat de rire ', et dit :
« Ma foi, monsieur l'oiseau, votre plume est fort belle !
J'y vois la pourpre et l'or, et c'est, sans contredit,
Chose utile à savoir qu'un insecte en guenille,
Dès qu'il revêt la pourpre, est aigle que Dieu fit. -
C'est un fort bon tailleur, vraiment, qui vous habille.
Votre maître de langue a son mérite aussi.
Vous vous mettez fort bien ; vous parlez, Dieu merci,
Mieux encor ! je rends grâce à ce zèle exemplaire ;
On n'y sent point l'aigreur d'un nouveau converti.
Bien plus, l'honnête emploi que vous prétendez faire
(Noblement, dis-je, et non pour l'appât d'un salaire)
Rend témoignage au sang dont vous êtes sorti.
Contre tout ce qui rampe, ou rampa sur la terre,
Votre indignation m'engage à l'imiter.
L'avis est profitable... et j'en veux profiter.
Venez ! qu'on vous présente à ma jeune famille.
Un bec naissant va rendre à votre éclat subit
Ce qu'on lui doit... Infâme ! eh, qu'importe l'habit,
Quand le cœur est toujours chenille ! »