L'Épée de Skirner Victorin Fabre (1785 - 1831)

Frey... De qui parlez-vous ?-D'undieu. Cefutlongtemps
Frey qui fit dans le Nord la pluie et le beau temps¹.
Il fit, de plus, une sottise.
(Ce dieu ressemblait fort aux peuples de nos jours.)
Il livra son épée... et, s'il faut qu'on le dise,
Au messager de ses amours,
A Skirner, bon coureur, léger de vaillantise.
C'était pour le Mercure un fort joli cadeau !
L'épée intelligente, et faite à la bataille,
D'elle-même y courait, frappait, sur le carreau
Vous jetait une armée, et rentrait au fourreau.
Certes ! ce glaive-là convenait à la taille
D'un héros paresseux ! le combat se gagnait
Sans lui fatiguer le poignet.
Le bon Skirner à peine en fut propriétaire
Qu'il se connut un cœur né pour vaincre la terre.
« La terre ? non, parbleu ! vaincre la terre ? ah, si !
C'est bon pour le dieu Thor : moi, je porte un défi
Aux enfers... accourez, géants de la gelée ! »
Ils accourent : énorme, effroyable mêlée
De lances et d'épieux, qui, se dressant dans l'air,
Vont percer le crâne d'Ymer !
Skirner, à cet aspect, la voix entrecoupée,
En reculant, s'écrie : « En avant ! » Son épée
S'élance : pas un coup qui n'achève un trépas.
Vous eussiez vu soudain, sur les plaines sanglantes
Sur les flots, les rochers, qui tremblaient du fracas,
Voler en tournoyant, ou bondir en éclats,
Les jambes et les troncs et les têtes hurlantes.
Skirner, juge des coups, sans avancer d'un pas,
Bras croisés, s'enivrait de carnage et de gloire.
Le carnage fut grand, mais le succès fut prompt.
« J'ai vaincu ! dit Skirner, en s'essuyant le front :
Plus d'ennemis ! Alors, sur le champ de victoire,
Intrépide, il s'assied ; et d'un œil sans effroi
Affrontant ces grands corps étendus devant soi,
Ces armes, ce sang noir dont la terre est trempée :
« Voyez pourtant, dit-il ! ma gloire est bien à moi :
Je ne la dois qu'à mon épée ! »

Skirner était modeste et vaillant comme un roi.

Fable 13




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