Éve et la Chenille Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Quand l'épouse d'Adam, par le serpent trompée,
De l'arbre défendu cueillit le fruit mortel,
Et que du chérubin la flamboyante épée
Chassa du paradis le couple criminel,
S'appuyant l'un sur l'autre en leur douleur profonde,
Ils marchaient, pleins d'effroi, dans lé désert du monde.
Pour la première fois le père des humains
De sa sueur trempa la terre,
Et, retournant le sol à regret tributaire.
Il dut sa subsistance au travail de ses mains.
Eve, à de moindres soins livrée,
Tentait d'apprivoiser de jeunes animaux,
Cueillait la mûre noire ou la figue dorée,
Des arbres trop chargés étayait les rameaux,
Ou conduisait la source à là plante altérée.
De rosiers enlacés ses mains avaient formé
Au-devant de sa grotte un berceau parfumé ;
Et souvent, au lever de la riante aurore,
Elle avait observé sûr leurs tiges en fleurs
Une chenille, au corps peint de mille couleurs,
Qui joyeuse rongeait les boutons près d'éclore.
Mais un jour du berceau, vers l'heure de midi,
Eve, avec son époux, gagnant le frais asile,
Dans un réseau soyeux vit l'insecte immobile.
Surprise, elle le prend ; il est froid, engourdi,
Sa forme première est changée :
Une coque noirâtre, écailleuse, allongée,
Enveloppé son corps insensible et roidi.
La Compagne d'Adam s'épouvante et s'écrie :
« Qu'est-ce ci, cher époux? serait-ce point la mort ?
Ce petit animal, sur la branche fleurie,
Des feuilles ce matin rongeait gaîment le bord,
Et le voilà glacé ! C'est la mort, c'est la mort !
O péché, que de maux tu traînes à ta suite i
Par les .enfants de l'homme être à jamais maudite,.
N'était-ce point assez, Seigneur? Et fallait-il
Punir aussi de mort, à cause de mon crime,
Ces pauvres animaux, nos compagnons d'exil ?
Et toi, chenille, et toi, ma première victime,
Je veux te conserver : ta vue à chaque instant
Viendra me rappeler le sort qui nous attend. »
A ces mots dans sa grotte elle rentre, et dépose
L'insecte transformé sur des feuilles de rose ;
Et son œil, chaque fois qu'elle entre ou qu'elle sort,
Contemple avec effroi ce témoin de la mort.
Mais voilà qu'un matin, ô surprise ! ô merveille !
L'insecte inanimé tout à coup se réveille :
Du linceul écailleux qu'il brise avec effort.
Un papillon brillant d'azur, de nacre et d'or,
Lentement se dégage et dans les airs s'élance.
Sur les roses il se balance,
11 y puise, un moment, la rosée et le miel,
Tuis, bientôt dégoûté de ces fleurs périssables,
Il dirige son vol vers les plaines du ciel,
Et franchit de l'Éden les murs infranchissables.
Eve le suit des yeux et dit : « O mon époux,
J'en crois la sainte voix qui dans mon coeur résonne,
Le Dieu qui nous punit, c'est le Dieu qui pardonne.
S'il nous chassa d'Éden, dans son juste courroux,
Tout espoir d'y rentrer n'est pas perdu pour nous :
Quand l'ange de la mort, fermant notre paupière,
De l'instant solennel viendra nous avertir,
Quittant d'un corps souillé la dépouille grossière,
Sur les ailes du repentir
Nous remonterons purs au séjour de lumière. »

Livre VI, Fable 25, 1856




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