L'Aigle et le Chat Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Au pied des monts, dans un jardin,
Un gros chat folâtrait sur l'herbe,
Soudain il aperçoit un aigle a l'œil superbe
Qui fond du haut des airs sur un pauvre lapin.
Le chat tout indigné va vers le Carnivore,
Arrive près de lui comme il mangeait encore,
Et l'apostrophe ainsi : « Je suis tout stupéfait
De vous voir accomplir cet horrible forfait !
Je ne vous croyais pas jusqu'à ce point perfide !
Qu'avait fait ce lapin timide ?
Rien de mal, je le sais, et de le mettre à mort,
Cruel, confessez-le, vous avez eu grand tort.
L'aigle entendant alors qu'un chat le morigène.
Vers lui se retourne sans gène
S'écriant : « Mon ami, tu fais un fin docteur ;
Et tu parles vraiment comme un prédicateur !
Mais, je t'ai vu tantôt, dans un coin de la plaine,
Sans scrupule croquer un malheureux pinson,
Pourquoi donc viens-tu hors d'haleine
Maintenant me faire un sermon?...
Va, va, tous tes discours me laissent insensible,
Oui, c'est vrai, maintenant j'ai tué ce lapin,
Mais au moins je m'abstiens d'aller d'un air terrible
Faire la leçon au prochain. »

Vous qui prêchez si bien une belle morale,
Voulez-vous la graver dans le fond de nos cœurs ?
Montrez-vous en exemple à tous vos auditeurs,
Sans cela vos conseils sont de coups de cymbale !

Livre I, Fable 1, 1856




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