Le Ruisseau sans nom Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Là-bas, au pied delà colline,
Dans les prés un ruisseau jaillit,
Dont l'onde fraîche et cristalline
Les féconde et les embellit.

Sous les saules de son rivage
On voit voltiger mille oiseaux
Qui, soir et matin, du bocage
Viennent se baigner dans ses eaux.

Les bœufs lassés, quittant la plaine,
S'y désaltèrent en chemin ;
La brebis y lave sa laine,
Et le pâtre y boit dans sa main.

Tout près du bord, troupe légère,
Folâtrent les petits poissons ;
La cane y nage, heureuse mère,
Au milieu de ses canetons.

Là son onde, qui s'emprisonne,
Coule dans un vaste lavoir,
Où le bruit des caquets résonne
Plus haut que le bruit du battoir.

Il anime ici, dans sa course,
Le joyeux tic-tac d'un moulin ;
Puis, à mille pas de sa source,
Dans le fleuve il se perd enfin.

Mais quelqu'un me dira peut-être :
« Ce ruisseau qui dans son trajet
A tous porte vie et bien-être,
Quel est son nom ? — Nul ne le sait.

C'est la douce image d'un sage
Qui, par son cœur seul inspiré,
Sème le bien sur son passage
Et dont le nom resté ignoré. »

Livre VI, Fable 24, 1856




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