La Prévention L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Phèdre, l'Imitateur d'Esope,
Qui comme lui nous développe
Mille beaux traits de sa façon,
Nous apprend qu'autrefois dans la Ville de Rome,
Parmi les Comédiens on y voyait un homme,
Qui si bien de sa voix contrefaisait le ton,
Que chacun croyait à l'entendre,
Entendre les cris d'un cochon.
Enfin, petits et grands tous s'y laissaient surprendre.
Un jour certain Manant lors qu'il l'eût entendu,
Dit que c'était là temps perdu ;
Se vanta qu'il pourrait beaucoup mieux contrefaire
Les cris naturels du cochon.
Et pour vous faire voir, Messieurs, que j'ai raison
Je veux bien sûr cela demain vous satisfaire.
Chacun l'heure venue accourt au rendez-vous.
Le Comédien commence la musique ;
Pour applaudir, tous mirent en pratique
Ce qu'ils savaient d'obligeant et de doux.
Après qu'on eût par tout chanté, crié merveille,
Notre Manant le nez dans son manteau,
D'un vrai cochon lâche alors le museau
Tire ses poils et pince son oreille ;
Ne doutant nullement qu'à l'aide de ses cris,
Dessus son Concurrent il n'emporte le prix.
Bien loin de là,
ce ne font que murmures,
Que quolibets, que brocards et qu'injures ;
Est-ce donc là sot et lourd fanfaron,
Un cri semblable à celui d'un cochon ?
Et là-dessus on le charge d'ordures.
Pour lors le Villageois montrant son nourrisson
Messieurs, leur cria-t-il, ce nouveau Cicéron,
De votre jugement vous fait voir l'injustice
Et par ses cris vous demande justice.

Voila les fruits de la Prévention,
Orgueil, fureur, jugements téméraires,
Vices communs aux âmes mercenaires,
A ces esprits de contradiction.

Livre I, fable 4




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