Le Chien et la Puce L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Un Dogue gros et gras vivant sans nul souci,
Caressé d'un chacun, bien couché bien nourri,
Ayant toujours la panse pleine,
Du matin jusqu'au soir ne faisait que dormir,
Si ce n'est dans le tems que pour se divertir,
De ronger quelques os il se donnait la peine :
Car il avait toujours auprès de la maison
Le revenu de mainte aubaine,
Os de Poulets, os de Chapon,
Quelquefois aussi de Pigeon,
Même de Perdrix et de Caille.
Enfin, c'était un Chien, Chien de condition ;
Car l'on ne traite pas de même la canaille.
Mais par un fâcheux contretemps
Cette félicité ne dura pas long tems.
Ce fut un jour d'Eté qu'ayant fait fon affaire,
Je veux dire maints plats léché,
Et dans sa hutte étant couché,
Dormant comme à fon ordinaire,
Qu'une Puce s'en vint le piquer sur le cou,
L'éveille, le désole et le rend presque fou.
Dans les transports outrez où fa fureur l'emporté ,
Il pose enfin fon cou fur le bord de fa porte ,
Et par un frottement mainte fois redoublé
L'Infecte tomba tout troublé ,
Et se sauvait dessous la paille ,
Qui du Chien composait et les draps et le lit ;
Lors que notre Mâtin lui dit ,
Tu prétends, maudite Canaille ,
Te dérober peut-être à mon juste courroux;
Mais tu sauras bientôt qu'à gens faits comme nous,
On périt lors que l'on s'attaque.
Cela dit, il s'en va prendre un tison ardent,
Qui bientôt à l'aide du vent,
Mit tout en flamme la baraque ;
Tant que le feu dura son plaisir fut parfait
Tout lui réussit à souhait ;
Son mortel ennemi brûlé, réduit en cendre !
Lors qu'on veut se venger en peut-on plus prétendre ?
Le feu scellé , son plaisir cesse aussi ,
La nuit approche il survint un orage,
A son plaisir succéda le souci,
Il vit alors beaucoup mieux son dommage,
Point de couvert point de lieu pour dormir.
Ce fut bien pis lors qu'on vint avertir
Ceux du Logis de ce triste incendie :
Voulait-il donc nous faire tous périr,
Dit aussitôt une troupe en furie ;
Qui peut douter qu'il ne fait enragé ?
On ferait fou de le laisser en vie.
Et là dessus de mille coups chargé,
Il reconnut, mais trop tard, sa folie.

Tel se venge qui tombe en de mortels ennuis,
On en voit tous les jours la triste expérience.
Rien n'est si doux que la vengeance
Mais il n'est rien aussi plus amer que ses fruits.

Livre I, fable 8




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