Le doux sommeil fuyait le monarque des bois ;
Ou s'il dormait, soudain de lamentables voix
L'éveillaient en sursaut : sa garde vigilante
Faisait en vain la ronde, et du tympan royal
Ne pouvait écarter leur approche insolente :
Bref, les nuits se passaient fort mal.
Dans l'antre inviolable et les grottes voisines,
On cherche, on cherche encore, et l'on ne trouve rien.
« Bon ! le prince dormira bien. »
Pas du tout : les voix clandestines
Reviennent avec l'ombre et le soir revenus,
Dire au nouveau Macbeth : Tu ne dormiras plus.
<< Oh ! je redormirai, corbleu ! c'est du grimoire.
Pour me le débrouiller qu'on me fasse venir
Ce vieux ermite, à robe noire,
Qui des secrets du ciel aime à nous prévenir,
Même avant le combat raconte la victoire,
Et, comme nous lisons le passé dans l'histoire,
Lit dans un songe l'avenir. >>>
L'ours arriva. « Seigneur, pour expliquer vos songes...
- Mes songes, dit le roi, puisses- tu m'en donner !
Jusque-là trêve à leurs mensonges ;
C'est du vrai qu'il faut deviner.
Voici le fait : sitôt que la clarté nous laisse,
Je soupe et je me couche. Une voix jette un cri :
-J'ai faim !-«Jeûne et tais-toi ! » Ma paupière s'abaisse.
Autre voix : Pauvre enfant ! combien il a maigri !... -
Tyran, que sous ton règne il est dur d'être mère !
-Maigri ? va- t'en au diable engraisser loin d'ici,
Et me laisse dormir, pour que j'engraisse aussi !
Vain espoir ! sans respect, au moins pour ma colère,
De la plaine et des bois tous les sons affligés,
Tous les accents plaintifs, me viennent à l'oreille
Redemander des fils, des époux égorgés.
Plût au ciel avec eux vous avoir tous mangés,
Coquins, dont la plainte m'éveille !
Je dormirais alors !... Mais leurs cris acharnés,
Prolongeant du sommeil les refus obstinés,
M'amènent tout baillant à l'aurore vermeille !
Ce n'est le tout, mon cher, que de ne dormir pas :
Ces plaintes sont embarrassantes ;
Et le ton désolé de ces voix gémissantes
A quelque chose enfin dont mon courage est las.
La nuit me paraît longue.... Ote-moi d'embarras ;
Fais-moi connaître les coupables
Qu'on ne voit ni ne touche, et qu'on entend si bien !
Rends - les visibles et palpables ;
Je les rendrai muets. Sire, je n'en crois rien,
Répond l'ermite avec franchise :
Votre pouvair est grand, mais il a peu de prise
Sur ceux que vous voulez empêcher de parler.
Pour qu'ils ne parlent plus je les fais étrangler !
-Sire, ce ne sont pas de ces gens qu'on étrangle :
Et... Mais ceci demande une explication
De physique. Grand Prince, écoutez-moi ; le son,
Frappant contre un obstacle, aussitôt forme un angle,
Et réfléchi... - Tudieu ! s'écria le lion,
Laisse là ta physique, et viens à mon affaire.
Je veux dormir ; je n'ai que faire
D'un angle de réflexion !
- Voilà pourtant tout le mystère.
De la plaine et des monts répétant les sanglots,
Dans cet antre sacré, chaque nuit, des échos,
De nos nuits de douleur vous rendent tributaire.
Sire, on ne peut forcer les échos à se taire :
Mais on peut de la plainte affranchir ses sujets.
Rendez-nous le sommeil, vous dormirez en paix. »
L'ermite parlait mieux qu'un livre
Par Desr******* censuré.
Le roi de ce docteur fourré
Suivit-il les conseils ? et voudrez-vous les suivre,
Vous, rois, dont l'oreiller n'est point dans les forêts ?
J'en doute. Au fond de vos palais,
Vous n'avez pas d'écho qui vienne à votre oreille
Imposer le tribut de la douleur qui veille.
S'il en est au dehors, dont l'indiscrétion
Vous blesse, plus heureux, plus forts qu'un roi lion,
Vous pouvez étrangler cet écho qui vous gêne ;
Mettre un livre aux pilons, un auteur à Vincenne.
Un ?... trente : mais enfin tiendrez-vous en prison
Tous les échos ? faut-il écrouer l'horizon ?
Non, vraiment, croyez-moi, ce serait trop d'affaires
Pour vos pilons et vos cachots.
Princes, qui voulez du repos,
Craignez les cris vengeurs des publiques misères :
Ces cris ont toujours des échos.