Des Lievres qui doutèrent que les Raines ne fussent noyées Ysopet II (Moyen Âge)

Les venéeurs chacoient
Ans chiens que il avoient,
Les lievres par les champs :
Les lievres si fouirent
Devant les chiens qu’ils virent,
Tous de paour tremblans.

Un fleuve ont avisé;
Si se sont apensé
Que noyer si yront :
Si ne les auront mie,
Les chiens faus, plains d’envie,
Ne jà n’en mengeront.

Quant près du fleuves vindrent,
Et les raines oynrent
Qui sur la rive estoient,
En l’yave sont saillies ;
Mais ne sont pas naycis :
Car bien noer savoient.

Un des lievres les vit,
A ses compagnons dit :
Ne nous occions mie,
Comme ces bestes cy
Qui mais n’aront mercy :
Car perdue ont leur vie.

Plus fort de nous cremon
Et c’est droit et raison :
Aussi somes doubtez
De plus foibles de nous :
Si ne leur volons nous
Ne mal, n’aversitez.

Arriéré retournon :
Jà ün seul n’en verron
De celle gent desvée :
Encor porron avoir,
Ce me dit mon espoir,
Mainte bonne jornée.

Apres le temps pluieux
Et lait et anuieux
Vient le bel, ce savez :
Apres les grants corrous,
Et les duels et les plours,
Raurons joyes assez.

L’en se doit conforter
Et nient desconforter,
Por chose qui aviengne :
Chascun se doit pener
De mal entroublier
Et qui bien se maintiegne.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.142


Fable XXXIII

Notes

Venéeur : chasseur, de venator
Apensé : s’apenser, réfléchir.
Najeis : noyées
Noer : nager, de natare
Cremon : craignons.
Desvée : folle.


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