Des Lievres qui doutèrent que les Raines ne fussent noyées Ysopet II (Moyen Âge)

Les venéeurs chacoient
Ans chiens que il avaient,
Les lièvres par les champs :
Les lièvres si fouirent
Devant les chiens qu’ils virent,
Tous de paour tremblans.

Un fleuve ont avisé;
Si se sont apensé
Que noyer si yront :
Si ne les auront mie,
Les chiens faus, plains d’envie,
Ne jà n’en mengeront.

Quant près du fleuves vindrent,
Et les raines oynrent
Qui sur la rive estoient,
En l’yave sont saillies ;
Mais ne sont pas naycis :
Car bien noer savaient.

Un des lièvres les vit,
A ses compagnons dit :
Ne nous occions mie,
Comme ces bestes cy
Qui mais n’aront mercy :
Car perdue ont leur vie.

Plus fort de nous cremon
Et c’est droit et raison :
Aussi somes doubtez
De plus foibles de nous :
Si ne leur volons nous
Ne mal, n’aversitez.

Arriéré retournon :
Jà ün seul n’en verron
De celle gent desvée :
Encor porron avair,
Ce me dit mon espoir,
Mainte bonne jornée.

Apres le temps pluieux
Et lait et anuieux
Vient le bel, ce savez :
Apres les grants corrous,
Et les duels et les plours,
Raurons joyes assez.

L’en se doit conforter
Et nient desconforter,
Por chose qui aviengne :
Chascun se doit pener
De mal entroublier
Et qui bien se maintiegne.



Fable XXXIII

Notes

Venéeur : chasseur, de venator
Apensé : s’apenser, réfléchir.
Najeis : noyées
Noer : nager, de natare
Cremon : craignons.
Desvée : folle.


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