Le Pigeon et l’Hirondelle Alexis Piron (1689 - 1773)

Jadis un Pigeon ramier
S’entêta d’une Hirondelle
11 ne fut pas le premier,
Ni le dernier épris d’elle.
Elle était jeune, était belle
Ou peu s’en était fallu :
Et ce peu la laissait telle,
Qu’une plus belle eût moins plu.
Bref, le fuyard , dit l’Histoire,
S’empêtra dans le lien :
Pigeon n’aime que trop bien,
N’étant pas comme on peut croire,
L’Oiseau de Vénus pour rien.
On l’aimait, en récompense,
Peut-être au fond, presque point.
Mais assez en apparence ;
Et c’est toujours un grand point,
Pour l’Amant en défiance.
Déjà cependant en l’air,
Régnait l’orageux Borée :
Déjà s'approchait l’Hiver.

Au voyage d’outre mer,
L’Hirondelle est préparée :
Ne plus vivre en même lieu !
O disgrâce sans égale !
Arriva l’heure fatale ,
Qu’il fallut se dire adieu.
Quand ce mot des bouches tombe,
Malheur aux cœurs de Colombe !
Consolez-vous, mon ami,
Lui répétait l’Hirondelle :
C’est trop pleuré , trop gémi :
Je vaux une Tourterelle.
Je retournerai fidèle ,
Et sans déchet, ni demi.
A ces mots la favorite
Passe au pays tempéré ;
Et par un bras d'Amphitrite ,
Le couple est tôt séparé.
L’Oiseau reste , se désole.
Eh , pourquoi ces cris perçants ?
Le voyage, pour qui vole,
Ne paraît pas des plus, grands
Trois mois ne sont pas mille ans.
Surtout trois mois d’espérance.
Non : mais pour un tendre Amant,
Fut-il jamais courte absence,
Ni petit éloignement ?
A chaque moment qui passe,
L’Amour, en cas pareil, fait
Compter plus d’un siècle et met
Entre l’un & l’autre objet,
Les deux Pôles pour espace.

Enfin le Printemps paraît,
Et ramène l’Hirondelle :
Le Pigeon la voit, l’appelle ,
Et Progné le reconnaît.
Que me voulez-vous, dit-elle ?
Ce que je vous veux , cruelle !
Quoi ? vous !... Mais sourde à ses cris,
L'infidèle vole et passe ;
Le Pigeon meurt sur la place ;
Et je n'en suis pas surpris.





Commentaires