L'Âne chargé de sel Babrius (Ier - IIème siècle)

Un petit marchand avait entendu dire que près de la mer le sel était à vil prix ; il résolut d'en acheter. Il en chargea fortement son âne, et le ramena. Ils étaient près d'arriver, quand tout à coup la bête
tomba dans une rivière ; le sel se fondit, et l'âne soulagé d'autant se releva sans peine et regagna aisément le bord. Le sel vendu, le marchand emmena encore son âne et lui donna une plus forte charge. Celui-ci, pliant sous le faix, traversait le courant où il était tombée et s'y laissa choir à dessein ; le sel fondit encore, puis l'âne se remit sur ses pieds tout fier et tout léger, croyant avoir beaucoup gagné à cette malice.

L'homme vit la ruse, et, dégoûté du sel, retourna au rivage et en rapporta une grande quantité d'épongés. L'âne, lorsqu'il fut revenu à la rivière, s'y jeta de plus belle ; mais aussitôt les éponges s'emplirent d'eau, toute la charge gonfla, et l'âne se remit en route avec un double fardeau sur ses épaules.

Souvent ce qui faisait notre fortune fait notre malheur.