Le Loup et le Chien Barthélemy de Beauregard (1803 - ?)

On sait comment le Loup de La Fontaine,
Craignant surtout d’être mis à la chaîne,
Aux reliefs qui tentaient ses appétits gloutons
Préféra les dangers d’une vie incertaine
Et conserva ses instincts vagabonds.
Ce Loup, dans la vigueur de l’âge,
Devint l’effroi du voisinage :
Il avait pris bien des moutons,
Croqué bien des volailles,
Et, sans craindre les représailles,
Étranglé maint basset ;
Enfin, c’était un fort mauvais sujet.
Un soir qu’auprès d’un parc qu’il s’efforçait de rompre,
Il flairait un friand butin,
Il se vit tout à coup hélé par un mâtin
Que le bandit essaya de corrompre.
Comme étrangleur, il savait son métier ;
Mais il voyait briller les pointes d’un collier,
Et ce n’était pas son affaire.
Recourant donc au ton parlementaire :
« Voisin, si vous vouliez, dit-il,
Être un peu moins hargneux, plus poli, plus civil,
Nous pourrions fort bien nous entendre ;
Vous aimez, j’en suis sûr, une chair fraîche et tendre ;
Nous en aurions toujours : au choix, bœuf, veau, mouton,
Canard, poulet, dindon,
Et du festin pour changer l’ordonnance,
On pourrait, au besoin, dépecer un ânon ;
On pourrait même en conscience,
Et sans trop de danger,
Selon les cas et l’occurrence,
Déjeuner du berger.
Moi, rien que d’y penser, l’eau me vient à la bouche.
Si pourtant vous vouliez être un peu moins farouche,
Nous serions, dès ce jour, au comble du bonheur. »
— Bête odieuse et scélérate,
Me prends-tu, comme toi, pour un être sans cœur ?
Lui dit le Chien ; pour un traître, un pirate
Sans foi ni loi, sans honte, sans honneur ?
Me préserve le Ciel d’avoir jamais envie
De partager ta détestable vie !
Toujours en l’air, pas de tranquillité ;
Dès qu’on te voit, on te signale ;
On crie : Au loup ! de tout côté.
On te poursuit, on te régale
De coups de pierre ou d’une balle ;
Les chiens, des dents et de la voix,
Te chassent jusqu’au fond des bois,
Où l’on traque ton existence.
Rien de sûr pour ta subsistance ;
Pas d’abri pour te reposer ;
Même en été, maigre pitance,
Et quand l’hiver vient tout glacer,
Pour régal, le chiffon qui sert au récurage,
Le désespoir, la faim, la rage.
Est-il au monde un plus horrible sort ?
Et cependant, robuste et fort,
Plein de santé, doué d’une mâchoire
Dont, à bon droit, tu peux te faire gloire,
Planté sur un jarret puissant,
Que tu pourrais vivre honorablement !
Que ne sers-tu quelque bon maître
Pour assurer pour le moins tes repas !
— Moi ! dit le Loup, moi me soumettre !
Un maître ! libre à vous, vils chiens, d’en reconnaître,
D’être valets, de vivre d’un salaire ;
Mais quant à moi, je n’en veux pas.
J’entends me conduire à ma guise,
Me reposer quand je suis las,
Vivre au hasard et de surprise,
Garder enfin toute ma liberté,
Et faire en tout ma volonté. »
Le Chien, bondissant de colère,
Lui dit : « Retire-toi, détestable animal ;
Je te prédis que tu finiras mal ;
Tu périras dans quelque horrible affaire. »
Deux jours après, et juste au même lieu,
Le Loup tombait, atteint d’un coup de feu.
« C’est ainsi que l’on meurt quand on n’est pas honnête,
Lui dit le Chien ; je te l’avais prédit ;
Je n’ai jamais compris qu’un homme ou qu’une bête
Puisse se résoudre et s’entête
A faire de bon gré le métier de bandit. »





Commentaires