Fille ! as-tu vu ce grand garçon
A qui je viens de donner l'eau bénite ?
Ne le traite pas d'hypocrite.
Moi, par le temps qui court, sans ostentation,
Voyant quelqu'un remplir devoir pieux, de suite
Je me dis : cet homme a du bon.
Ainsi parlait Patrix, par un coup de la grâce
Ayant quitté le pavé de Paris,
Pour.se fixer à Saint-Denis :
Près du bénitier est sa place.
Comment se fait-il donc que je me sois épris
De ce garçon, dit-il ; dites-moi, je vous prie,
Ce qu'il m'a fait ! mais c'est folie.
Eh non, papa, c'est sympathie,
Dit sa fille. — Eh bien ! soit ; mais toi, dis-moi, Julie,
Qu'en penses-tu, ma fille ? Tu rougis,
Tu rougis !.. oh ! je fais du reste mon affaire.
S'il y consent, suffit. Le lendemain,
Sans doute pour sa bonne mère
Venant à quelqu'autel voisin
D'adresser sa courte prière,
Edmon donne à Patrix son tribut ordinaire.
Edmon n'est qu'un clerc de notaire.
Mon beau garçon, je vous suis obligé,
Dit Patrix. Eh ! mon vieux, je ne vous fais pas riche,
Répond Edmon ; ma foi, je donne comme j'ai.
— A vos bontés, monsieur, dont vous êtes peu chiche,
Vous pourriez aujourd'hui mettre le comble. - Ehbien !
— Accordez-moi l'honneur d'un entretien.
Où, quand, comment ? dit Edmon. — Il n'importe,
Chez vous, chez moi, ce soir, demain,
Ou quand du temple on fermera la porte.
-Demain donc, dit Edmon, chez moi. - Soit. -Du matin
On pense bien qu'en habit du dimanche,
Sans tache de roupie, aux revers, sur la manche,
Et c'est beaucoup, Patrix est juste au rendez-vous.
Après certain préambule ordinaire,
Il demande Edmon pour époux
De sa fille, à sa noble mère.
Or on saura qu'Edmon perdit son père
À la tête d'un régiment,
Dans la Vendée ; il faut aussi qu'on die
Qu'Edmon a remarqué depuis longtemps Julie,
Et qu'à Julie Edmon n'est pas indifférent.
Il n'est soin qu'ici l'on répète,
Les si, les mais et les comment.
Pareille affaire est bientôt faite,
Quand il s'agit du sort de nos enfants.
Patrix donne vingt mille francs ;
Plus, dans un bon canton, l'achat de quelqu'étude.
Sa fille et lui, toujours par habitude,
Parlait de sympathie et de coup du Destin.
De la Providence en chrétien,
Dans son ardente gratitude,
Notre Edmon bénissait la main.

Livre III, Fable 8




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