Le Lièvre émigré Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Qu'orgueil éclate en la prospérité,
C'est une faiblesse ordinaire ;
Mais qu'au sein de l'adversité,
Il se regimbe encor, il prouve la misère
De notre pauvre cœur humain.
Pour obéir à l'ordre souverain
Du lion exilant bélier et cerf et daim.
Et toute autre espèce pareille
Portant corne, (en quoi certe il ne fit pas merveille,}
Certain lièvre, craignant qu'un ombrageux voisin
Ne dénonçât pour corne son oreille,
Crut devoir émigrer dans le pays lointain :
Mais il ne tarde pas à voir que l'infortune
Nourrit aussi l'orgueil de la distinction.
Quel est celui-ci, disait-on ?
Il n'est pas de condition
A partager la misère commune
D'une noble émigration :
De la colère du monarque
Son front abject ne porte aucune marque...
Mon lièvre ainsi partout n'excitait que mépris.
On croit voir ces aristocrates
Qui d'un pareil travers sont encor mal guéris.
Trop heureux de pouvair regagner le pays,
Mon lièvre compte encor revoir ses dieux pénates,
Escarbots et.grillons, ses égaux, ses amis ;
Lièvre mon ami, tu te flattes.
Nous allons voir combien il s'est mépris.

Livre I, Fable 16




Commentaires