Le plus heureux des Rois en un sens c'est Pluton :
On ne saurait gagner tous les gens qu'il emploie,
Fidèles, éclairés ; double sujet de joie !
Et pour passer le Phlégéton
11 ne suffit de quelque ducaton ;
II faut encor payer de sa personne.
Un jour s'y présenta le savant de Pétronne,
Soyez le bien venu, lui dit Maître Caron
Appuyé sur son aviron,
Qui donc êtes-vous, mon cher homme ?
Je fuis, repartit l'Ombre, un vrai Polyhistor.
Je sais le Grec, l'Hébreu, le Syriaque encor ;
Grammairien, Rhéteur, Géomètre, Astronome,
Philosophe, Poète.... Oui-da, notre Bourgeois,
Trédanie, ce n'est pas une petite affaire

Que de passer tant de gens à la fois.
Mais ce c'est pas non plus un honneur ordinaire,
Je fuis le Parangon des Universités !

Tandis qu'il détaillait toutes ses qualités,
Et comptoir par ses doigts les différents volumes
Qu'il avait publics, ses ouvrages posthumes,
Arrive sur les mêmes bords
Une Ombre simple en ses manières :
Son timide maintien, ses modestes dehors
Faisaient peu présumer et n'en imposaient guères,
Le sombre Nautonier bâille en l'apercevant,
Quel est cet autre ? Encor quelque savant !
Ce titre ne m'est dû, le Monde était mon livre,
Reprit cette Ombre avec douceur,
Et tant que J'ai vécu j'apprenais l'art de vivre.
J'aurais voulu fonder les abîmes du cœur,
Mais qui peut pénétrer toute sa profondeur !
Le mien qui m'égarait sans cesse
Ne me prouvait que trop, hélas,
Combien je faisais peu de pas
Dans la route de la sagesse.
L'autre Ombre à ce propos rit sous cape et s'empresse
De monter fièrement dans la barque à Caron,
Qui vous le repoussant à grands coups d'aviron
Retire-toi, dit il, important personnage,
Tu t'ignores toi-même et prétends tout savoir !
Cet homme-ci vaut mieux ; je dois le recevoir,
Il connaît sa faiblesse, et partant il est sage.

Pour des savants et des faiseurs d'x, x,
Des Beaux-Esprits à face minaudière
Qui se piquent d'être Phoenix
II en vient une fourmilière :
On ne voit que cela sur les rives du Styx.
Un galant-homme est mille fois plus rare,
La Nature en paraît avare.
Grâce au Ciel, passe encore, en voici pourtant un
Qui daigne avat le sens commun !

Livre I, fable 11




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