Timon rêvait un jour, Timon était heureux !
Sorti par la porte d'ivoire
Un Songe comptait tous ses vœux,
Et rassemblait pour lui le Bonheur et la Gloire
Déités dont le charme éblouit tous les yeux,
Et que trop rarement on trouve en mêmes lieux.
Les Ministres divers du prodigue Morphée
Au logis de Timon répandent maint trésor
Changent le chaume en lames d'or.
Et de rustiques toits en un Palais de Fées.
Là Monseigneur paré négligemment
Au fond d'un vaste appartement
Sur un sosa respire l'Ambroisie,
Tandis que dans la galerie
Sa Cour humblement se morfond,
Et dans un respect très profond
Soupire après l'instant de se voir avilie.
Il voit ses favoris rampants avec orgueil
Esclaves fastueux étaler leurs bassesses,
Et toujours attentifs mendier un coup d'œil.
Les Belles à l'envi fières de leurs faiblesses
Briguent l'honneur honteux du rang de ses maîtresses.
Celle dont la rigueur l'a fait souvent gémir
Le prévient cette fois, la bouche qu'il adore
Le nomme cher amant, lui prouve mieux encore...
Je laisse à penser quel plaisir !
Son cœur ne peut le contenir
Et dans ses transports il s'écrie
D'un ton mal assuré, d'une tremblante voix
Que coupent te sommeil, le plaisir à la fois,
Ah Doris... ma Doris... mon bonheur et ma vie !
Tu m'aimes ! Je le vois, je le sens ! A ces mots
Son compagnon de lit s'aperçoit qu'il s'égare,
Timon, Timon, dit-il, crois-moi,
Ne sois point le jouet d'une vapeur bizarre,
C'est un songe, réveille-toi.
Cruel, reprit Timon, quelle amitié barbare !
Que de biens À la fois tu viens de m'arracher !
C'était le seul bonheur, le seul instant peut-être
Que je pusse jamais goûter,
On est heureux quand on croit l'être.
Eh qu'importe aptes tout que la félicité
Soit l'effet de la vérité,
Ou bien le fruit d'un doux mensonge !
Les plaisirs sont toujours une réalité,
Hélas qu'est devenu mon songe !