Le Singe et les Chapeaux Claude-François-Félix Boullanger de Rivery (1725 - 1758)

Vous possédez, Peuples polis,
Des Riens la science profonde :
Vous ressemblez au pieu des amours et des ris,
Souvent avec des rieurs vous enchaînez le monde,
Et la Mode à Cusco se règle sur Paris.
Tandis que des pompons couvrent sa tête altière,
Aux Castors ajustés scion notre manière
Elle sait à son gré donner un plus grand prix.

Un homme qui cherchait fortune,
Au Pays où croît l'or la croyant plus commune,
Arec lui sur les mers embarqua maint chapeau
Décoré dans un goût nouveau.
Et déjà du Potose il voyait le rivage,
Lorsqu'un perfide écueil plus cruel que t'orage
Déchire les flancs du vaisseau,
Qui livrant A Neptune un amas de victimes
Avec un bruit affreux se perd dans les abimes.
L'homme aux chapeaux triste jouet des vent
Sauve enfin son ballot sur des débris flottants t
Dans la Cité prochaine il comptait s'en défaite.
Comme lui ses Castors ayant bu l'onde amère,
Sur des buissons il étale au soleil
Tout son avoir et va sur la fougère
Se délasser dans les bras du sommeil.
Mais quelle est sa surprise, il cherche à son réveil
Plus de chapeaux ! Les Vols, les Brigandages
Que l'intérêt introduit parmi nous
Peuvent-ils pénétrer dans des climats sauvages ?
Ses yeux du Ciel d'airain accusant le courroux,
Il voit sur le sommet d'un Chêne
Des Singes affublés. Ah vraiment c'est pour vous
Que j'ai passé les mers et des bords de la Seine
j'apporte eu ces climats les Castors les plus doux
Pour des têtes de Singe ! il s'arme de cailloux,
Les lance avec effort sur cette Gent grotesque,
Qui peur le contrefaire avait mis les chapeaux.
Triomphants par le nombre en ce combat burlesque
Les Sièges à leur tour l'accablent de rameaux.
L'un saisit dans les airs une pierre égarée
Et la dirigeant mieux d'une main assurée
Bat l'ennemi commun avec ses propres traits ;
Secouant le feuillage épais
Un autre au même instant le couvre de poussière
Et lui dérobe la lumière ;
Le Chapelier est aux abois,
Il maudit cent fois sa misère,
Et dans un désespoir bourgeois
II bat du pied, se mord les doigts
Et jette son chapeau par terre.
Tous les Singes en font autant ;
Il pleut des chapeaux à l'instant.

On n'obtient rien par violence,
Et souvent le hasard tient lieu de la prudence.