L'illustre Mort Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Un Philosophe, un Sage, un demi-Dieu,
Un Archimède, Arpenteur de la sphère,
Hors lui n'estimant rien, n'aimant rien sur la terre,
Fou de calculs, faisant du reste un jeu,
Mourut, un beau matin, comme un homme ordinaire.

LE même jour, un Bourgeois expira,
Homme obscur, de l'Algèbre ignorant le mystère,
Mais bienfaisant, humain, modeste et coetera.
A peine mon Savant dans le Royaume sombre
Eut essayé les premiers pas,
Qu'on lâcha vite après son ombre
Tous ces Prôneurs des gens qui descendent là-bas ;
J'entends ces Orateurs sonores,
Ces Panégyristes pompeux,
Qui, prodigues de métaphores,
A labri du Héros n'écrivent que pour eux,
Vous chargent les tombeaux de leurs fleurs inodores,
Et, s épuisant en tristes lieux communs,
Endorment les vivants, pour fêter les défunts,

On veut les lire ou les entendre.
L'illustre mort, comme Euclide cité,
De personne n'est regretté :
Mais d'un encens exquis on régale sa cendre ;
Et le voilà chanté, préconisé, prôné,
Gissant en mort bien conditionné.
Du Bourgeois, pas un mot ; muette est l'éloquence.
Eh ! direz-vous, voilà donc tout le prix,
De ses vertus et de sa bienfaisance !
Ah ! ne le plaignez point ; il eut sa récompense.
Il fut pleuré de ses amis.

Que m'importe qu'on me célebre,
Quand j'aurai succombé sous la commune loi ?
La douleur qu'on laisse après soi,
Vaut mieux qu'une Oraison funèbre.

Livre II, fable 17




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