Un carcajou jadis, ayant fort bonne dose
De vanité,
Cherchait une opportunité
De se faire un renom par quelque grande chose.
Il voulait se rendre immortel, —
C'était son but suprême —
Ne fut-ce même
Que par un fait accidentel.
Plein de cette pensée
Qu'on peut dire insensée
Quand elle vient d'un carcajou,
Et croyant qu'un haut fait ne sera qu'un joujou
Pour sa riche nature,
Il part à l'aventure.
Il n'était pas très loin encor
Quand, dans une rivière assez bien encaissée,
Il voit un habile castor
Qui bâtissait une chaussée.
— Voilà, se dit-il en émoi,
Un travail qui serait assez digne de moi ;
Mais je puis faire mieux : j'ai plus grande stature
Et j'ai meilleures dents, pour couper un sapin,
Que ce petit rapin
De l'architecture.
Commençons donc notre œuvre ; immortalisons-nous,
Et rendons jaloux
Les hommes orgueilleux dont les longues annales
Ne racontent toujours que des choses banales !
À peine finit-il ce vaniteux propos
Qu'il se mit à ronger un arbre des plus gros,
Mais il n'en avait pas coupé toute l'écorce,
Malgré ses coups ardents,
Qu'il avait épuisé sa force
Et qu'il s'était cassé les dents.
Il rentra dans les bois fou de honte et de rage,
Comprenant, mais trop tard, que le plus beau courage
Ne suffit pas toujours pour créer un exploit,
Mais qu'il faut être propre à l'œuvre qu'on conçoit.