Le Silphe et le Pygmée Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

L'orgueil est mon antipathie.
Pour le fronder, je reviens sur mes pas ;
Rufus en crève et le Dieu du génie,
L'Auteur du Cid n'en avait pas.
Voyons comment le maître du tonnerre
Humilia jadis un Mortel arrogant :
Ce conte m'a paru plaisant ;
Puisse-t-il être salutaire !
Le bon La Fontaine en contant
Donnait des leçons à la terre.
Montagne et lui, je le dis franchement,
Sont les sages que je préfère ;
C'est qu'ils le sont tout uniment,
Et leurs singes auront beau faire ;
On les entendra froidement.
Que leur manque-t-il ? L'art de plaire.
Revenons ; c'est trop me distraire ;
C'est aux dépens du fait qu'est toujours l'ornement.
La Motte est un bavard, Esope est le contraire.

A Lilliput, par Cyrano vanté,
Il fut jadis un petit homme.
Je ne sais comment il se nomme :
J'ai vu pourtant son nom cité,
Je ne sais où ; qu'importe à mon histoire ?
Ce que je sais, d'après l'antiquité,
C'est qu'au dernier excès, le lecteur peut m'en croire,
Ce marmot-là poussait la vanité.
Si bien que Jupiter, par un moyen risible,
Imagina de le punir.
Devant son trône, il fit venir
Un Silphe, un Lutin invisible,
Un habitant de l'air, léger, incorruptible,
Ayant le souffle et le vol du zéphyr.

Vois-tu, lui dit le Roi de la voûte étoilée,
Cette bamboche boursouflée
Qui s'enfle encore et cherche à se grandir ?
Empare-toi du sot, sans te rendre palpable :
A chaque instant, voltige sur ses pas ;
Sois désormais son ombre inséparable ;
Et poursuis-le jusqu'au trépas.
Obéis ; que rien ne t'arrête :
Surtout, retiens ce point ; c'est de rire aux éclats,
A chaque accès d'orgueil qui troublera sa tête.

Rieur en chef du Souverain des Dieux,
Mon Silphe court vaquer à son office ;
Et grâce au sot présomptueux,
Il est bientôt en exercice.
Le petit homme est d'abord très-surpris ;
Mais, (l'amour propre a tant de subterfuges !)
Il croit que dans les airs le talent a des Juges,
Et que du sien les Silphes sont ravis.

Dans une foret solitaire,
Avec force un jour il conçut
Le plan d'un Drame unique et bien patibulaire :
On était fou du Drame à Lilliput.
Peste, dit-il, le superbe début ! –
Le Silphe rit ; le Poète insensible
En se félicitant, va toujours à son but ;
Je crois ce nœud d'un effet infaillible. –
Le Silphe rit : que ces vers sont heureux !
Le dénouement sera terrible,
Sublime, imprévu, merveilleux. –
Le Silphe part d'un rire inextinguible.

L'auteur, alors écume de courroux,
Et le rire moqueur croît avec sa colère.
Il ne sait plus que dire, ni que faire :
Il frappe l'air de mille coups.
De son génie ornement de la terre,
Il pense bonnement que les Dieux sont jaloux ;
Et le Silphe assidu remplit son ministère.
A la fin le Pygmée expiant ses fureurs,
Et son orgueil et son délire,
Mourut dans la honte et les pleurs.
Désespéré d'entendre rire.

Silphe charmant, viens parmi nous ;
C'est le Dieu du goût qui t'appelle.
Avec leur sérieux, les critiques sont fous.
Plus la censure est triste et moins elle est cruelle.
Délivre-nous gaîment de cent Auteurs bouffis.
Près de nos sots fais sentinelle
Tu trouveras de quoi rire à Paris ;
Et plus d'un Journaliste a besoin d'un modèle.

Livre IV, fable 21




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