L'Union douanière Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Par députés, les divers animaux
Qui peuplent l'air et la terre et les eaux,
Dans notre beau pays de France,
Avaient été convoqués. La séance
Avait pour but de discuter
Les bases d'un traité d'union douanière,
Que des peuples voisins proposaient d'adopter,
Voulant entre eux lever toute barrière.
Les personnes pourraient circuler librement,
Et les fruits du travail pourraient, également,
Désormais franchir la frontière.

Le cheval, le premier, prit la parole, et dit :
« - Illustres députés, ce n'est pas sans dépit
Que j'entends discuter un traité qui m'afflige.
L'étranger le propose, et ce mot me suffit,
Donc il y trouve son profit.
Mon patriotisme m'oblige
A rejeter dès lors ses dons pernicieux ;
Et d'ailleurs, entre nous, mon intérêt l'exige.
Des chevaux étrangers viendraient, jusqu'en ces lieux,
Caracoler, offrir à tous les yeux :
L'Anglais, sa vigueur, sa vitesse ;
Le superbe Andalous, ses formes, sa souplesse ;
Le Russe, sa sobriété ;
L'Arabe, son intelligence,
Sa belliqueuse ardeur, sa grâce, sa beauté !
Et moi, que gagnerais-je à cette concurrence ?
Rien qu'un surcroît de peines, de travaux,
Pour lutter avec mes rivaux.
A ce qu'ils foulent nos prairies
Et broutent nos herbes fleuries
Je m'opposerai jusqu'au bout ;
Je suis Français, mon pays avant tout. »
(Murmure approbateur). Le chien prend la parole :
- De l'orateur, dit-il, « sur cette question,
Je partage l'opinion.
Ne souffrons pas qu'on nous immole
A l'Anglais, fin limier, ou dogue belliqueux ;
Au terre-neuve généreux,
Que jusqu'au fond des eaux son dévouement attire.
Ces qualités, que l'on admire,
Il faudrait les apprendre d'eux.
Le Ciel ne m'a point fait l'âme cosmopolite ;
L'étranger, je le hais, et jamais ne l'imite,
Et, comme le cheval, je dis :
Je suis Français, avant tout mon pays.

Les gros bonnets, les plus notables bêtes,
Vaches, taureaux, enfin les fortes têtes,
Se rangent à cet avis là.
Chacun veut garder ce qu'il a ;
Nul n'entend partager, et l'on écoute à peine
D'un pauvre passereau l'humble pétition.
Il voulait l'introduction
Du mérinos espagnol, « dont la laine,
Qui nous sert, disait-il, « à tapisser nos nids,
Est si douce pour nos petits. »

Un rat, des plus pelés, demande
Que le fromage de Hollande,
À l'avenir, puisse entrer librement.
C'est son principal aliment :
« Ayez, dit-il, messieurs, pitié du pauvre monde. »

Mais sa requête est mise de côté,
Et pour l'ordre du jour chacun vote à la ronde.
Les gros bonnets étaient tous électeurs,
Et la plupart législateurs.
Tous préféraient marcher à l'ancienne manière,
Rouler commodément dans une vieille ornière ;
Le projet fut donc rejeté,
Et le consommateur ne fut pas écouté.

C'est ainsi, de nos jours, qu'un faux patriotisme
Trop souvent cache l'égoïsme,
Et sert de masque à la cupidité.
Je ne sais, quoi que l'on en dise,
Si notre siècle est en progrès,
Mais chacun est toujours pour ce qui favorise
Sa paresse et ses intérêts.

Livre IV, fable 3




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