Un pauvre cheval, jeune encore,
Mais dont la peau montrait les os,
Comme une inutile pécore,
Fut un jour dirigé vers le champ du repos.
Ce champ, c'est l'abattoir pour la gent animale.
Un fermier le vient voir, il en augure bien ;
Il l'achète presque pour rien
Et d'herbe verte il le régale.
La bête à la santé revient tout doucement.
Alors sans nul ménagement
Son maître le charge, le traîne,
Et le fatigue et le surmène,
Tant qu'un vieux chien, par amitié,
Prend son camarade en pitié,
Et lui dit : - Fuis, va-t'en, je vais ronger ta bride.
- Non, répond le cheval, mon maître m'a sauvé
Et par lui je fus élevé,
Je ne serai point un perfide.
Puis-je fuir, dit encor le vaillant animal,
Sans qu'un souvenir me retienne ?
Je me souviens du bien, je le dois ; mais le mal
Mérite-t-il qu'on s'en souvienne ?