Le Moine et la Pagode Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Non loin des rivages du Gange,
Voyageant avec un Anglais,
Un moine rencontra, plein de dieux fort laids,
Une pagode assez étrange :
Là trois têtes sur un seul corps ;
Ici Dieu mourant pour renaître ;
Plus loin Vichnou se faisant prêtre,
Et son cheval jugeant les vivants et les morts.
La pagode était délabrée,
D'herbe et de ronces entourée,
Et le peuple en avait oublié le chemin.
- Il faut la démolir, dit le missionnaire.
- Oh ! pas du tout, car dès demain,
Dit le flegmatique insulaire,
Tout le peuple en foule accourrait,
Bien vite on la rebâtirait
En nous vouant à l'anathème.
Avec un froid mépris détournons-en nos pas,
Laissons-la tomber d'elle-même :
Ils ne la relèveront pas.

Livre IV, fable 16


Symbole :

Les multitudes ignorantes sont toujours idolâtres, et toutes les fois que le sacerdoce, au lieu d’éclairer progressivement le peuple, a cherché à le maintenir dans l’idolâtrie pour exploiter ses superstitions, le sacerdoce a encouru la déchéance. Les prêtres de l’Egypte étaient les prêtres du vrai Dieu au temps de Joseph, puisque nous voyons dans la Bible que le patriarche employa toute son influence à augmenter dans ce pays la puissance du sacerdoce. Ils étaient déjà corrompus et fauteurs d’idolâtrie lorsque Moïse leur emporta leurs secrets et leurs vases sacrés pour fonder un nouveau culte, ou plutôt pour dégager le culte ancien des voiles de la superstition. Les prêtres juifs étaient le vrai sacerdoce de Dieu lorsque les apôtres, dociles jusqu’à la dernière extrémité à ceux qui, suivant l’expression du Maître, étaient assis dans la chaire de Moïse, se trouvèrent hors de la synagogue qui leur fermait violemment ses portes, et qui, ayant ainsi expulsés la vérité et la vie, demeura fermée comme un tombeau.
Moïse n’attaqua pas les prêtres égyptiens, il emporta seulement la lumière et les laissa dans les ténèbres. Les apôtres n’attaquèrent pas le sacerdoce judaïque, ils emportèrent avec eux la charité et l’avenir, et laissèrent aux Hébreux un passé qui les déshéritait et un orgueil qui les immobilisait dans la mort. Que sont devenus les grands sanctuaires de l’Egypte et ce sacerdoce imposant qui donnait des maîtres au monde ? Que sont devenus les sacrifices d’Israël et le temple de Salomon ? Est-ce que la religion d’Hermès et de Sésostris ne s’affirmait pas immuable et éternelle comme les pyramides ? Est-ce que le temple de Jéhovah ne devait pas s’élever à jamais au-dessus des autels et des trônes des nations ? Demandez maintenant aux tourbillons de poussière que le vent chasse à travers les solitudes s’ils ne furent pas autrefois les pierres colossales de cet éternel édifice, et pas une voix ne vous répondra.
Le vicaire de Jésus-Christ siège encore aujourd’hui au Vatican, et Saint-Pierre de Rome est la métropole du monde. Les pouvoirs se briseraient encore s’ils se heurtaient contre cette pierre angulaire de la civilisation moderne.
O Rome, souviens-toi de Thèbes et de Memphis ! Saint-Pierre de Rome, souviens-toi du temple de Jérusalem !


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