Le Truand qui trouve son maître Etienne Catalan (1792 - 1868)

Que j'aime certains mots de ce bon Populas !
Bien qu'il n'ait lu jamais, car c'est peu son affaire, -
Ni d'Olivet ni Vaugelas,
Nous le voyons tirer de son vocabulaire,
Qu'il fait selon le temps et la nécessité,
Des traits, dont l'imprévu, l'originalité,
Défieraient, à bon droit, le génie et l'audace
De ces Messieurs les Élus du Parnasse.
Faut-il vous en donner la preuve ? la voici :

Un de ces fiers Truands, Monarques de la rue, -
Ce n'est pourtant point là mon héros, Dieu merci, -
Filait un jour son nœud... Où leur fougue se rue,
Malheur à qui voudrait leur disputer le champ !
Moi, quand passent ces gueux, je me range à l'instant :
Est bien fou qui prétend affronter le tonnerre !...
Ceux qu'on épargne en temps de guerre,
Femmes, vieillards, enfants, notre Vaurien
Les froissait en sa route, et ne respectait rien.
Même les plus hardis, tant le fait les étonne,
Et les plus vigoureux, qui se sentaient heurtés ;
Tout le monde, en un mot, s'écriait : Arrêtez !
Sans que, pour le saisir, il se trouvât personne…..
Personne ? je me trompe, un Quidam l'attendait :
Corps trapu d'un Lapon ; bras, jarrets d'un Alcide ;
Cheveux épais, front large, et regard intrépide ;
Voilà celui qui projetait
De satisfaire seul la vengeance publique.
L'un à peine à vingt pas, l'autre dit : Halte-là !...
Chacun s'étonne, et le Truand réplique :
L'ai-je bien entendu ? De qui me vient cela ?
Quoi, ce Singe, avec sa grimace,
Pense-t-il m'arrêter ?... Arrière ! Bertrand : place !
Ou, je t'étrangle net !... On tremblait, à le voir
Lancer à son rival cette affreuse menace ;
Mais, notre Champion, sans beaucoup s'émouvoir,
De son poignet d'airain lui frappant la poitrine,
Le jette roide à terre... À ce coup, le Truand,
Qui sait bien le commerce, et craint fort, s'il s'obstine,
D'en être le mauvais marchand :
Compte réglé, fait-il, en se frottant l'échine ;
Quelle touche, mordieu ! Déjà plus d'un galant
Écorcha nos moutons ; mais, toi, tu les assomines !
Aussitôt il s'éclipse... A nos gens ébahis :
Connu dit le Vainqueur ; il est, en tout pays,
Plus de hauts-de-chausses que d'hommes !