Le Lion et le Singe Étienne Fumars (1743 - 1806)

Un grand qui s’ennuyait, (la chose n’est pas rare)
De plus, capricieux, bizarre,
Voulant ce qu’il voulait, prétendant tout pouvair,
Ne se croyant pas haut, et plein d’impertinence,
Ne sachant rien que sa naissance,
Et s’imaginant tout savair ;
Ce grand, chacun va dire, est de ma connaissance.
Chacun se trompe ; on va le voir.
Ce seigneur de si haut parage
Était un fier lion que l’africaine plage
Entretenait oisif, bien luisant et bien gras,
N’importe par combien de pleurs et de trépas.
Des forêts, après tout, que le peuple en murmure,
N’est-on pas trop heureux de servir de pâture
A monseigneur ?
On porte envie aux grands ; je connais leur bonheur.
Bien plus que les petits j’aime à les plaindre encore,
Si j’en trouve de bons. Ils ont tous dans le cœur
Un ver qui le flétrit, le ronge, le dévore :
Ce ver se nomme ennui. La superbe pécore,
Ventre à terre et le nez sur la griffe, en mourait.
Près de là, sur un chêne, un singe demeurait,
Riant, jouant, faisant petite chère,
Sautant de branche en branche et toujours plus joyeux,
Après dîner se grattant le derrière,
Ne songeant guère à ses aïeux.
Sire bon lui porte envie.
L’ami, dit-il, viens m’amuser ;
Je meurs sans un peu de folie.
Approche, tu verras, je sais m’humaniser.
Viens, j’oublierai mon rang ; nous n’aurons qu’une table,
Et même qu’un seul lit. Dès que l’on est aimable
On est l’égal de tous. Sois l’ami du lion ;
Sois avec lui de pair à compagnon.
Aux grands, quoi qu’on en dise, on est flatté de plaire.
Que l’on est sot ! Bertrand le croit sincère,

Lui saute sur le dos, se campe sur son front.
Notre lion sourit ; et cependant de dire :
« Voyez comme ces gens-là sont !
« Sa liberté m’amuse, il est vrai ; mais j’admire
« Avec combien d’aisance ils sortent de leur rang. »
Pour mieux le divertir, sautant de place en place,
Et familièrement
Notre singe se pend
A sa crinière, — Quelle audace ! —
La peigne un peu trop fort.
– Comme il est insolent. –
D’un coup de dent badin vous lui pince l’oreille…
Du lion furieux la grandeur se réveille,
Et fronçant le sourcil, à vingt pas il étend
Monsieur Bertrand.





Commentaires