L'Âne de Roquecourbe Fables américaines

Vous ne connaissez pas Roquecourbe, village
D'un coin perdu dans le Midi ?
Son âne est légendaire, et dès le moyen âge
Il court la fable que voici :

Un jour les Eschevins voyant le populaire
Sur un pont s'assembler en tas,
Crurent premièrement que c'était le mystère
De l'inscription écrite au ras
De l'eau, par le Conseil à la Pasque dernière.

« CE PONT FUST FAICT ICI », c'est ce qu'on pouvait lire
En gothique. Roquecourbin
Du passé, du présent, oncques ne pense à rire :
Un peu d'orgueil, mais pas malin,
Gomme le prouvera ce qu'il me reste à dire.

En ce moment vers le haut du clocher sonore
L'œil d'un chacun était fixé;
On discutait projet, mis à l'étude encore,
D'utiliser pour tous le pré
Que le printemps là-haut venait de faire éclore.

Gramens et giroflée y poussaient comme en une
Prairie, et c'était par trop dur
De laisser sans le tondre un pré de là commune.
Comment trouver un moyen sûr ?
Autant vaudrait avec les dents prendre la lune.

Un Eschevin alors plus malin que les autres
Ouvrit l'avis suivant : « Manants !
Bourgeois ! n'avez-vous pas un Ane ? par l'apôtre
Saint Jean ! le patron de céans
M'est avis qu'il n'est pas besoin de patenôtre

Pour jouir de ce bien que le ciel nous accorde.
Hardi ! montez l'Ane au clocher ! »
A l'instant ce fut fait par une longue corde
Qu'adroitement un bon archer
Fit passer par-dessus. Pas un qui ne se torde

De rire dans la foule, en voyant le pauvre Ane
Tirer la langue, et les propos
D'aller leur train : « Pasque Dieu ! par ma sarbacane ! »
S'écriait un vieil Huguenot :
« Ce pain béni ne lui sied guère ! Hé donc ! ma Jehanne.

Crois-tu pas qu'il ait soif ? Par les cornes du diable !
Quand il aura mangé faudra
Bellement le mener à la rivière, à table
Messire Ane se croit déjà !
Oyez ! comme il jouit d'un plaisir délectable !

Sus ! Sus ! Noël ! Tirons ! Encore un coup, compère !
Sur ma part du saint Paradis !
Un verre d'hydromel ferait bien mon affaire !
Jamais Ane sera nourri
Comme icelui ! Faites largesse au populaire.

Sire Eschevin ! Voyez comme tous sur la corde
Nous tirons pour suivre l'avis
De Votre Seigneurie ! Holà, miséricorde !
Holà !.... » Le câble se rompit,
Et je crois, sur ma foi, qu'autre usage la corde

Pourrait bien avoir eu. Dans leur grande colère
Ne se gênaient pas les vilains
Pour pendre haut et court. Tant pis ! c'était affaire
Au fallacieux Eschevin,
Mais n'a pas mangé le roussin,
Et comme toujours fut trompé le populaire.





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