Dans le pays de l'or, dans une république
Que je ne nomme pas,
Où l'on voit, sans mentir, chose vraiment épique,
Pour trois mille soldats,
Six mille généraux, ni plus ni moins, j'avais
Un Colonel à mon service,
Un Ane aussi. Très fort à tous deux je tenais :
C'est le seul spécimen qu'on puisse
Se procurer là-bas de deux êtres parfaits :
Mon Colonel n'avait que juste ses galons,
Mon Ane avait ses deux oreilles,
Choses rares par là : une espèce de taons
Souvent les ânes dépareille,
Et colonel de général prend les galons.
En forêt vierge on croit qu'il doit être facile
De bien nourrir un pauvre ânon,
Quelle erreur ! Perroquets, singes, hideux reptile,
S'y gorgent de tout à foison,
Mais pour manger soi-même, oh ! qu'on se fait de bile !
De fruits pas un, de légumes néant, pas d'herbe !
Du boeuf que l'on sèche au soleil,
Du cassave grillé, par bonheur des conserves,
Régal à nul autre pareil,
Et que soigneusement pour l'extra l'on réserve.
Mais le pauvre Ane, allez ! il est aussi perplexe
Que celui de jadis, car rien
(N'ouvrez pas votre bouche en accent circonflexe,
Ce que je dis est vrai), car rien
Ne peut le nourrir, rien, c'est là ce qui le vexe.
Sauf un arbre étonnant, au tronc si gigantesque,
Qu'à peine s'il voit le rameau
Qui le rassasierait ; de Tantale c'est presque
Le supplice ; c'est « el charro »
Qu'on appelle cet arbre en ce pays grotesque.
Heureusement, Colonel, ici, bûcheronne ;
Il prend sa hache, et pour l'Anon
De coups précipités forêt vierge résonne ;
L'arbre tombé, c'est la moisson,
Et de plaisir tout bas la pauvre bête ânonne.
Contentons-nous de nos climats,
Les chardons y poussent à force,
On n'y fait pas tant d'embarras ;
Pendant qu'ici chacun s'efforce
De recueillir un peu d'or,
Miné par la fièvre et sans force,
Souvent auprès de son trésor
De faim on le trouve mort.