J'habitais par hasard une case en forêt,
Soit quatre pieux plantés avec toit de feuillage ;
Ma basse-cour n'avait pas le moindre treillage,
Et tout ce monde-là, libre, se promenait :
Le coq jetait, joyeux, sa note matinale,
Les poules picoraient, et le dindon gloussait
Sans commettre une fois la faute capitale
De s'éloigner sous bois ; d'instinct ils redoutaient
La légion d'ennemis que la forêt renferme
Sous son ombrage épais. Pour compléter ma ferme
J'avais un très joli petit Cochon de lait,
Mais celui-là captif, qu'une corde tenait
Attaché par la patte au pieu de ma cabane :
Je comptais le manger entouré de bananes.
Mon cordon bleu, Sarah, la vieille mulâtresse,
Pour ce petit Cochon éprise de tendresse,
S'apitoyait parfois sur le sort du Goret :
« Comme il serait heureux, libre dans la forêt !
Il deviendrait marron, monsieur, » me disait-elle,
« Comme bon frère à moi dans les temps d'autrefois.
De petits sangliers vous verriez ribambelle
Autour de lui courir sous l'ombre des grands bois. »
Je soupçonne qu'un jour elle coupa la corde
Pour que son protégé pût devenir marron,
Mais, enragé chasseur, et sans miséricorde,
Je reconnus ses pas au sable du vallon,
Et d'un coup de fusil j'abattis pauvre bête.
J'ai même le remords d'avoir trouvé très bon
Ce mets fort délicat. C'était rarement fête
Au restaurant des Bois, et je dis à ma vieille
Qui pleurait son petit Cochon :
« Il faut se faire une raison !
Ventre affamé n'a pas d'oreille ! »