Le Mineur et le Vigneron Fables américaines (?)

Nul n'est prophète en son pays, dit-on : l'histoire
Que je vais vous conter ne se passera pas
En France. J'aurais beau vouloir vous faire croire
Qu'un Mineur s'appauvrit, vous ne le croiriez pas,
Et que l'on s'enrichit en plantant de la vigne,
Vous me ririez au nez ; car le phylloxéra
De Bordeaux à Béziers, de Carpentras à Digne,
Dévore tous les ceps. Jamais on ne pourra
Prophétiser la mort de la gaîté de France,
Fille du jus divin, comme dit la romance ;
On serait lapidé ; mais qui vivra verra !
En attendant, partons pour la Californie,
C'est de là que vient l'or, et d'où viendra le vin.
Ne vous étonnez pas si pour ma théorie
Je vous parle d'un temps antédiluvien :
En l'an quarante-huit, de sinistre mémoire,
L'ouvrage n'allait pas, l'ouvrier avait faim,
Et de grands appétits, à ce que dit l'histoire,
Rudement malmenés dans les jours de Juin.
Or, aussi vers ce temps, une rumeur lointaine
Arriva jusqu'en France : on venait de trouver
Une terre magique, où l'on n'avait à peine
Qu'à se baisser un peu pour tant d'or ramasser
Qu'on pouvait vivre heureux du gain d'une journée,
Et chacun de partir pour cet Eldorado.
Deux ouvriers s'en vont, la bouche enfarinée,
Vers ce pays lointain ; l'un était de Bordeaux,
Vigneron par état, et l'autre était orfèvre
Sans ouvrage, tous deux rêvant pépites d'or
Grosses comme la tête, à vous donner la fièvre.

Il fallut déchanter : la terre des trésors,
En tous les sens fouillée, à chacun donne à peine
Pour acheter le lard qu'il paye au poids de l'or,
Quart d'once au plus par jour, au prix de quelle peine !
Si bien qu'au bout d'un an, Gros-Jeans comme devant,
Ils regrettaient bon temps des jours heureux de France.

Le Vigneron se dit : « Mais voilà le moment
De chercher autre chose ! Être ainsi dans les transes
Pour protéger son claim, ne pas gagner d'argent,
Patauger dans la boue, en lavant sa bâtée
Quand un si beau climat, un terrain de cailloux,
Produiraient tous les ans du vin à gueule-bée !
Allons ! retournons vite au métier de chez nous. »

Il planta de bons ceps, et sa vigne est prospère,
Et l'on dit que depuis il gagne un argent fou.
L'Orfèvre a poursuivi très longtemps sa chimère,
On a volé son or, on l'a roué de coups,
Puis il est revenu dans Paris sans le sou ;
Contre le capital partout il déblatère.

Que chacun parmi vous tire de mon histoire
Moralité qui lui plaira ;
Mon Vigneron là-bas, un jour, nrayant fait boire
De son excellent vin d'extra,
J'ai promis de porter, en France, à sa mémoire
Un toast en vers, et le voilà.





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