L'Ouvrage du Lion Fleury Donzel (1778 - 1852)

Esope, La fontaine et moi
Et maint autre avec nous, aussi digne de foi,
Qui des seuls animaux, attendant notre gloire,
De leurs gestes et faits conservons la mémoire ;
Quand nous pourrions conter voire chacun cent ans ;
Certain est-il qu'après ce temps
Folie encor serait dé croire
Qu'à bout fut mis leur histoire.
Au livre où nous lisons tout est de sorte fait
Que pour y voir changer la scène
Besoin onc ne sera de prendre d'autre peine ;
Que celle seulement détourner le feuillet.
Je veux, moi qui me plais à cette comédie,
Et qui de mille traits divers,
En choisis quelques-uns que j'étends en mes vers,
Le feuilleter toute ma vie.

J'ai trouvé ce matin qu'un jour, à l'Éléphant
Son ministre vieux et prudent,
Sire Lion tint ce langage :
Chancelier, j'ai fait un ouvrage :
Je veux à mes sujets le lire en ce bocage;
Qu'ils s'y rendent incontinent
Et que surtout, à l'assemblée ;
Toute la nation soit par vous appelée.
Je donne aux petits; comme aux grands
La liberté la plus entière.
Sur le style et sur la matière ;
Qu'ils disent tous leurs sentiments
J'y saurai démêler des avis importants
Allez et qu'on ne tarde guère.
L'Éléphant ne répliqua pas,
Quoiqu'il eût beaucoup à répondre,' 5 '
Et s'en fut trouver dé ce pas
Les animaux et les semondre
Eux d'accourir et l'Éléphant
D'arriver sur son dos portant
Maints sacs qui font jaser tout le peuple à la ronde.
A savoir son dessein on est fort empêché.
Qu'est ceci! qu'est cela? sans répondre à ce monde,
L'autre tient ce dessein caché.
Cependant le Lion commence,
Et d'abord sur le titre il se voit arrêté.
Sa débonnaire Majesté
Entend tout avec patience.
Mauvais, mauvais début : dirent bientôt les uns :
Il est tout plein de lieux communs.
Il est fort bon ; dirent les autres.
— Donnez-nous vos raisons—Nous attendons les vôtres.
— Vous n'y connaissez rien — Vous en avez menti.
Cuistres ! — Fripons ! — Pendards ! si l'on n'était ici...
Après ces jolis mots, le Lion continue ;
Mais la seconde phrase à peine est-elle lue,
Le débat renaît. Cette fois,
Tout le peuple est de la partie.
Le Lion veut en vain faire entendre sa voix :
On ne l'écoute plus. 11 fallait voir la Pie
S'en donner à cœur joie, et l'Ane et le Dindon,
Le Corbeau, le Canard, et l'Oison, et l'Outarde ;
Tant et si bien que la moutarde
Monte au nez à sire Lion.
Et le voilà déjà qui gronde.
Mal en prenait à tout ce monde
Si l'Éléphant,
En ce moment,
N'eût répandu sur la canaille
Tous ses sacs qu'il avait eu soin
D'emplir de monnaie et de foin,
D'avoine et d'autre victuaille.
A changer d'occupation,
Nul d'entr'eux ne fut lent en cette occasion.
Il se fit un profond silence;
Et l'animal plein de prudence
Près du Lion conduit alors
Les Hiboux, les Renards, les Singes, les Castors,
Peuple moins bruyant et plus sage
Qui paisiblement l'écouta
Et lui donna sur son ouvrage
Des avis dont il profita.

Vous allez voir un beau tapage,
O vous qui composez,
Si jamais vous osez
Mettre en lumière votre ouvrage !
Gare les ignorants, les jaloux, les bavards !
Gare les animaux voraces et criards !
Ce n'est pas comme au temps des fables :
Vous aurez beau jeter doublons, louis, ducats,
Avoine, foin, chardon : toujours insatiables,
Ils avaleront tout et ne se tairont pas.

Livre III, fable 5




Commentaires