Le Chat du couvent Fleury Donzel (1778 - 1852)

Démocrite avait bien raison
Quand il riait de tous les hommes.
Le plus sage est un fou. D'une ou d'autre façon,
Tous errons tous tant que nous sommes.
Qu'à rechercher la vérité,
Les plus savants humains passent leur vie entière ;
Et puis qu'on les écoute au bout de leur carrière.
Aveuglé par la vanité,
Chacun voudra qu'elle soit sa conquête.
L'un dira : je la tiens : l'autre : non, non, c'est moi.
Aucun d'entre eux de bonne foi,
Après s'être longtemps en vain rompu la tête,
N'avouera qu'il n'est qu'une bête.
Ils mériteront tous ce titre cependant.
Leurs travaux comparés pourraient vous en instruire.
Quelques uns d'eux auront cru lire
Dans les astres du firmament
Qu'ici-bas tout ce qui respire
N'a que du hasard seul reçu le mouvement.
Les molécules, les atomes,
Par d'autres, à leur tour, seront mis en avant.
Les tourbillons Mais plus de mille tomes,
De mainte opinion, parleront amplement.
S'il fallait de chacun signaler la folie,
Longue serait la litanie :
Je ne finirais d'aujourd'hui,
N'ayant pas; mon bonnet de nuit,
Il suffit que j'en vienne au point gui m'intéresse.
Un de ces songe creux qui croit que la sagesse
L'a choisi pour son truchement,
S'en vient nous dire effrontément,
Comme une chose qu'on démontre,
Qu'il est certain que l'animal,
Guidé par un instinct aveugle et machinal,
Au ressort obéit de même qu'une montre :
Point de choix, point de volonté
Tel ou tel, ressort, affecté
Par telle ou telle circonstance,
Le force d'agir seulement.
C'est là mon homme : en ce moment
Je lui donne la préférence.
Laissons les autres : quelque jour,
Je veux les prendre tour-à-tour
Et leur faire toucher leur erreur, si j'y pense.
Réfutons celui que j'ai dit.
Les subtilités de l'école
Me sont bibus : je hais toute vaine parole :
Allons donc droit au but par le simple récit
D'un fait qui paraît incroyable,
Mais qui n'est rien moins qu'une fable.

Des nonnains nourrissaient maint et maint indigent
Qui, certains jours de la semaine,
De sœur Tourière du couvent,
Venaient recevoir leur aubaine.
A l'heure marquée on sonnait :
Aussitôt la tournante armoire,
A Pierre, à Jean distribuait
De quoi manger et de quoi boire.
Le nombre de ces mendiants
Était fixé : vingt ou trente ; il n'importe.
Avint qu'au bout de quelque temps.
L'indigente cohorte
S'accrut d'un nouveau champion.
A chaque distribution,
Il manquait une ration .-
Quand sœur Tourière enfin se met en sentinelle
Pour reconnaître le fripon.
La mendiante séquelle
Vient, en nombre accoutumé,
Remplir son ventre affamé :
Point de voleur encor, quand un gros chat s'avance ;
Chat rembourré, dodu, vrai matou de couvent :
Avec légèreté, sur la chaîne il s'élance.
La cloche sonne : au même instant,
Le tour s'ouvre et le chat emporte la pitance.
Et fort stupéfaite est la sœur.
Elle compte le cas aux Nonnes qu'elle assemble,
Et tout le couvent vient ensemble
Admirer et choyer l'industrieux voleur.
Eh bien ! philosophe rêveur,
Ce chat raisonnait-il? Parlez, que vous en semble !

Livre II, fable 3




Commentaires