Le Pont du Diable Fleury Donzel (1778 - 1852)

Dans les montagnes de la Suisse,
Sur un torrent qui roule au fond d'un précipice,
Un pont singulier est jeté.
Je ne puis dire l'artifice
De celui par>qui fut l'ouvrage exécuté,
NL son nom même s car ces choses
Sont depuis longtemps lettres closes.
La hardiesse de ce pont,
Quoiqu'il en soit est admirable,
Et les habitants du canton
Qui n'ont jamais eu de maçon
Capable de construire un ouvrage semblable,
Au diable est donnent tout l'honneur.
N'allons pas nous moquer d'un peuple agriculteur
Et trop légèrement l'accuser d'ignorance :
Il a, sur d'âpres monts, su trouver le bonheur.
En France, où nous vivons dans un pays meilleur,
Nous n'avons pas eu sa science,
Mon dessein n'était pas d'en venir à ce trait,
Quoiqu'il ait bien son prix. Je reprends mon sujet.
Un auteur plein de sens, de raison, de sagesse,
Et dont le livre amuse autant qu'il intéresse,
Sur ces montagnes voyageait.
Il voit le pont du diable : il l'admire et s'adresse.
Afin de savoir la raison
D'un si singulier nom,
À certain homme du canton
Qui passait pour expert en plus d'une matière.
Cet homme-là lui dit : notre peuple grossier
Pense que, de cet arc, le diable est l'ouvrier,
Comme si Lucifer n'avait rien autre à faire
Que d'aller s'amuser à construire des ponts
Sur ces monts.
Son erreur est ici d'attribuer au père
Un ouvrage du fils ; car du reste il est clair
Que l'architecte fut un fils de Lucifer,
Si mieux vous aimez, une fille :
Mais ce fut à coup sûr quelqu'un de sa famille.
Ici-bas qu'est-ce qu'un savant ?
Un homme qui le plus souvent
En sortant d'une erreur dans une autre s'enfonce ,
Mille exemples pourraient le prouver amplement ;
Mais c'est assez en ce moment
De ce Suisse avec sa réponse.

Livre II, fable 10




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