Un jeune isard, de ceux qu'on voit sur la montagne
Bondir gaîment d'un pied léger ;
D'une tortue, en ce temps sa compagne,
Avait fait choix pour voyager.
L'allure était, comme bien l'on s'en doute,
Assez différente d'abord.
L'isard allait au loin pour éclairer la route,
Puis revenait, pour repartir encor.
De son côté cheminait la tortue,
Tendant au but sans détourner la vue.
Tout allait bien pourtant et sur la fin du jour
Au gîte convenu tous deux faisaient séjour.
Mais qui n'a vu sa prudence trompée
Dans sa vie au moins une fois ?
Où tombent nos amis, un soir, au fond d'un bois ?
Devant une roche escarpée.,
Rempart solide et continu,
Transformant le chemin en impasse inconnu.
Au terme de l'étape on n'était pas encore ;
Mais forcés d'arrêter, on regarde, on explore,
On mesure de l'œil, on recherche avec soin ;
La roche était à pic et s'étendait au loin.
Dans cet état, que résoudre, que faire ?
Franchir l'obstacle, était la chose nécessaire ;
Mais sans guide, comment d'un tel pas se tirer ?
Et sans trop en désespérer,
D'où leur viendrait pourtant une pareille aubaine ?
La tortue était fort en peine ;
L'isard, lui, se montrait un peu moins inquiet ;
La jeunesse est présomptueuse,
Et se fiant à son jarret,
Il comptait bien d'un bond faire une passe heureuse.
Aussi, toisant la roche, on voit que sans tarder
Il s'apprête à l'escalader.
Le voilà d'abord qui calcule,
Qui se rapproche,, puis recule,
Puis enfin qui prend son élan.
Pourtant à sa honte, il arrive
Que sa première tentative
Réussit mal ; il cherche alors un autre plan,
Tant l'insuccès déjà le déconcerte.
Mais l'effort est en vain, plus ferme et plus alerte,
On le voit échouer pour la seconde fois ;
Même pour la vingtième, et ce qui le chagrine,,
C'est après chaque essai que sa force décline.
Enfin, haletant, aux abois,
Honteux de sa déconvenue,
Il comprend qu'il devra coucher
Sans souper aux. pieds du rocher.
Mais en ^croit-il ses yeux ? est-ce bien la torlue
Qui vient d'atteindre en se hissant
Du faite le dernier versant ?
Quel chemin donc, aura pris la commère ?
Elle a suivi simplement de la pierre
Quelques anfractuosités,
Espèce de gradins dans le roc incrustés.
Par cet exemple pris au hasard entre mille,
Ambitieux tu vois, qu'au poste le plus haut,
Fût-on même le plus agile,..
On n'atteint pas du premier saut.
Même avant de tenter ascension nouvelle,
Fais que par le repos ton pied soit assuré ;
Ce n'est que degré par degré,
Qu'on arrive au haut de l'échelle.