Un bateleur monté sur des tréteaux,
Dressés sur le bord d'une place,
Par ses cris et mainte grimace,
Savait attirer les badauds,
Dont avant les regards, il charmait les oreilles,
Par l'annonce de son savoir.
« Entrez, leur disait-il, entrez, ce sont merveilles,
« Oui merveilles que je fais voir.
« D'adresse je suis un prodige,
« Et j'excelle dans mon métier ;
« Sur la corde quand je voltige
« Je néglige le balancier.
« Je fais la ligne horizontale,
« Les sauts de carpe et de tremplin,
« Et d'une force sans égale,
« Je lève trois pièces de vin.
« Je fais la pyramide humaine,
« Je me soutiens le bras tendu ;
« Sur les mains je marche sans peine,
« Puis par les pieds étant pendu,
« Je me retourne et me redresse
« Tout en soulevant deux boulets,
« Par le seul fait de la souplesse
« Et de la force des jarrets ?
« Voyons, que voulez encore,
« Parlez, je ne suis pas à bout ;
« Il n'est pas un tour que j'ignore,
« Pas un et j'excelle en tout.»
Le public que séduit cette pompeuse anuonce,
Prêt d'avance à tout admirer,
N'a pas de meilleure réponse
Que cet empressement qu'il montre pour entrer.
Quelques-uns cependant onl conservé des doutes
Et se maintiennent à l'écart ;
Il leur paraît que pour ces rudes joutes,
Un homme seul aurait trop belle part.
Et puis la trop grande assurance
Qu'affiche ce bateleur,
Les dispose à peu d'indulgence
Envers un charlatan qu'ils traitent de hâbleur.
Sans doute il est fort bon qu'en relief on se place,
Et de certains que je pourrais citer
En ce point on connaît l'audace.
Mais sans respect humain, soi-même se vanter
En son honneur tirer la cloche,
Et chaque jour monté sur des tréteaux
Crier soi-même à tout propos :
«Voyez, nul ne m'égale, et nul de moi n'approche ;»
C'est quelquefois en vérité,
Faire douter de la réalité;
C'est à coup sûr le plus mauvais système,
Car bientôt, soit dégoût, soit justice ou rigueur,
Il ne reste plus de prôneur
A qui se prône trop soi-même.