Le Caméléon Fortuné Nancey (? - 1860)

Le roi des animaux voulant partir en guerre,
Avait porté décret que fussent enrôlés,
Tous ceux de ses sujets, qui suivant sa bannière,
A le servir allaient être appelés.
Il en vint de tous bords ; l'hyène, la panthère,
L'ours, le loup, le renard, tous enfin, jusqu'au rat,
Bon à ronger filets et mailles
Comme d'autres pour les batailles,
Qui chacun à l'envi, s'inscrivaient sur l'état.
A son tour, le ton bas, la démarche rampante,
Le caméléon se présente ;
- Approches, dit le roi, je vois peu ta couleur ;
— Elle est changeante, monseigneur ;
Rouge ou bleu, jaune ou vert, à mon gré je varie
Suivant les gens et la partie,
Et j'expose en trompant à plus d'un mauvais coup.
Dans certain monde on me prise beaucoup ;
J'ai pied dans tous les camps, ayant pour sauvegarde
Le don de changer de cocarde.

— Je comprends fort bien, dit le roL
Mais si de me tromper moi-même
Le désir te prenait dans un moment suprême,
Qui donc me répondrait de toi ?
Vas, garde ce triste avantage
Pour ceux qu'on voit te ressembler ;
Tes services sont un outrage,
Et je sens la honte au visage
Hien qu'à te voir et rien qu'à te parler.

Livre II, fable 14




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