Garez-vous bien de l'Hameçon
Qu'au vif je m'en vais vous portraire,
Disait à tout jeune poisson
Une Carpe sexagénaire.

Sous un dehors affable et doux,
C'est un traître animal qui tue.
Il semble se donner à vous,
Mais il n'a que soi-même en vue.

Presque toujours il vient à bout
Des coupables desseins qu'il forme,
Ne se montrant que sous la forme
De ce qui flatte votre goût.

On le voit et l'on s'imagine
Que ce n'est point lui que l'on voit ;
On est à sa piste et l'on croit
Que c'est loin de lui qu'on chemine.

A son approche on sent s'ouvrir.
Le cœur à la plus douce joie ;
On croit que l'on va s'en nourrir,
Et soi-même l'on est sa proie,

Mais pour éviter l'Hameçon,
Qui dans nos eaux toujours foisonne,
S'écriait le petit poisson,
Quel est donc le moyen, ma bonne,

Las il n'en est qu'un, mes enfants
Et même au-dessus de vos forces ;
C'est de devenir assez grands
Pour vous arracher à ses crans,
Ou pour dédaigner les amorces.

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre II, Fable XXIII




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