Deux bœufs traînaient un char chargé très lourdement,
-a—s Mais sans pousser la moindre plainte;
Leur jeune conducteur disait à tout moment :
« Que mon sort est affreux : tous les jours je m'éreinte
Car je chemine sans répit
De la ville au hameau, des coteaux à la plaine,
Pour n'avoir a la fin qu'un gain assez petit.
Je porte une pesante chaîne !
Au moins si l'on pouvait un peu se rafraîchir,
Boire lorsqu'on a soif quelques choppes de bière,
Mais non! il faut marcher, tout le jour bien souffrir.
Et n'avoir je l'ai dit, qu'un fort maigre salaire! »
Les deux bœufs écoutaient la plainte du gardon,
L'un d'eux lui dit alors dans son simple langage :
« Bouvier laisse-moi donc te parler sans façon :
Sans cesse lu le plains de ton pénible ouvrage !
Nous qui souffrons aussi, mais un peu plus que toi,
Sans murmurer jamais nous subissons ta loi !
Cependant tu peux voir que nous sommes en nage :
Allons, prends exemple sur nous ;
Ne sois pas toujours en courroux
Car on t'appellerait : Le larmoyant compère.
Notre excellente vieille mère
Nous a dit bien souvent, et c'est ici le cas,
Que celui qui se plaint toujours avec fracas
Est celui qui souvent n'a presque rien à faire.
Qui de nous ou de toi peut à bon droit gémir ?
C'est bien nous, nul ne le conteste ;
Nous traînons un lourd char ! toi tu portes la veste.
Ne te plains plus à l'avenir ! »
On peut en dire autant à la riche jeunesse:
Dès l'instant qu'elle se plaindra,
Du pauvre travailleur montrons-lui la détresse
Et peut-être elle se taira.
On peut sentir ici une compréhension biaisée du stoïcisme, tel qu'on peut la voir dans plusieurs poèmes de l'époque. La comparaison des souffrances ne me semble jamais être une très bonne idée...