La vieille Vache et le Bouvier Joseph Reyre (1735 - 1812)

Une vache que la tristesse
Accablait et minait bien plus que la vieillesse,
Au bouvier en ces mots exprimait sa douleur :
Pour moi, c'en est donc fait, il n'est plus de bonheur ?
Hélas ! jadis mon sort était digne d'envie :
On se plaisait à me soigner,
On me menait à la prairie;
Souvent même, pour m'épargner
La peine de chercher ma vie,
Au milieu de mon écurie
On avait soin de m'apporter
Des faix d'herbe fraîche et choisie;
Chacun me traitait en amie :
La laitière surtout venait me visiter (i) T.
Et j'étais sa vache chérie.
Mais depuis quelque temps, reléguée en un coin,
L'on me dédaigne, l'on m'oublie,
Et seulement de loin en loin
On me donne en passant un peu de mauvais foin-
J'ai cependant servi mon maître,
Sans me vanter, aussi bien qu'il pût l'être.
J'ai labouré, j'ai fait les plus rudes travaux,
J'ai porté dix ou douze veaux,
Et par mon lait à- la laitière
J'ai procuré nombre d'écus -
Pourquoi donc ne la vois-je plus ?
Moi qui lui fus jadis si chère,
Pourquoi me traite-t-on si mal ?
Pourquoi ? dit le bouvier, eh ! mon pauvre animal,
La raison en est assez claire :
C'est que l'on ne peut plus te traire;
C'est que tu ne peux plus donner ni veaux ni lait.

Le rustre avait raison. Sa réponse est un trait
Qui seul des faux amis nous peint le caractère.
Tant qu'on peut les servir, les aider ou leur plaire ,
Ils sont attentifs, généreux;
Mais pour leur intérêt ne peut-on plus rien faire ?
Que l'on n'attende plus rien d'eux.

Livre I, fable 10




Commentaires