Les Membres et le Ventre Gilles Corrozet (1510 - 1568)


Comme il y a société
Entre le ventre, piedz et mains,
Ainsi sans contrarieté
Doit estre entre tous les humains.>

Ung jour s’esmeut a tort et par excés
Ung grand debat et dangereux procés
Des piedz et mains a Pencontre du ventre,
Luy reprochantz que dedans son sac entre
Tout leur labeur, voire du bien autant
Qu’ilz en gaignoient, et n’estoit point content,
Dont a la fin se voulurent distraire
De luy bailler le vivre necessaire.
Le ventre crie et demande a manger,
Les piedz et mains ne s’y veullent renger :
Par la faim donc qu'il avait endurée
N’estoit possible avoir plus de durée ;
Son sang, ses nerfz, s’en vont affoiblissans ,
Et quant et luy les membres perissans.
Lors les deux mains, lasses de tant souffrir,
Boire et manger luy voullurent offrir,
Mais c’est trop tard : car en brief il fina,
Et quant et quant les membres ruyna.

Tout ainsi donc qu’ung membre a son recours
A l'aultre membre en demandant secours,
Par mutuelle et tresbonne amytié,
Devons avoir l'ung de l'aultre pitié.

Fable 40


Titre original : Des Membres et du Ventre

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