D'un serpent un enfant faisait tous ses plaisirs ;
Serpent, mais bien privé. «Chère petite bête,
Disait-il, «penses-tu que je me fisse fête
« De jouer avec toi, si, contre tes désirs,
On ne t'eût arraché ton venin dangereux ?
Où trouver en effet, dis, une créature,
Plus qu'un serpent, nuisible à l'humaine nature ;
- Un être, autant que vous ingrat, malicieux ?
Dans mes leçons j'ai lu qu'un jour, loin de la ville,
Sous une haie, un homme aperçut, par hasard,
Un serpent devenu par le froid immobile,
Peut-être ton aïeul. L'honnête campagnard
Le prend, et dans son sein le choie avec tendresse.
Mais, le traître, à la vie est à peine rendu,
Qu'indignement par lui son sauveur est mordu
Et périt. — Oh ! répond le serpent, la jeunesse
Vous aveugle, mon cher ; que vos historiens
Se montrent partiaux ! prêtez l'oreille aux miens
Il crut le serpent mort votre homme charitable,
Et, trouvant de sa peau la couleur admirable,
Le prit pour l'écorcher gaîment dans sa maison ;
Cet homme, à votre avis, peut-il avoir raison ?
- Tais-toi, lui dit l'enfant, ne crois pas qu'on m'abuse
Aisément les ingrats inventent une excuse. »
Fort bien, mon fils ! du père interrompit la voix
(il avait écoulé), bon et sage à-la-fois,
« Si jamais, lui dit-il, de noire ingratitude
Tu vois quelqu'un taxé, toujours par une étude
Scrupuleuse, profonde, éclaircis bien le fait
Avant de prononcer sur un pareil forfait.
Rarement ou jamais la pure bienfaisance
Ne fit de vrais ingrats, même chez notre engeance
Mais l'homme intéressé, prétendu bienfaiteur,
Qui d'un titre si beau veut usurper l'honneur,
Qu'il recueille, mon fils, non la reconnaissance,
Mais des autres plutôt le mépris, la vengeance. »