Un citoyen, du fond d'une Province,
Se mit en tête, un beau matin,
De parcourir quelque climat lointain ;
Et ne voulant l'équipage d'un Prince,
En deux moitiés divisa son argent,
L'une sur lui pour sa dépense,
L'autre chez les amis déposée à l'instant ;
Pour la reprendre à son retour en France.
Il part. Le second jour ne finissait encor,
Qu'il a la fièvre et retourne en son gîte.
Chemin faisant, un peu trop vite,
Il tombe de cheval, perd quelques pièces d'or ;
Arrive enfin et va faire visite
A ses amis. Mais chez eux point d'argent :
Tous les dépôts niés. Oh ! la race maudite !
Contre les scélérats de bon cœur enrageant,
Deux ou trois jours après, marchant à l'aventure,
Il passe au même endroit, où, tombant de cheval,
Il s'était fait une écorchure.
Pour cette fois il s'y fit moins de mal :
Il y trouva l'argent échappé de sa bourse.
Ah ! mes amis, dit - il, qui l'aurait cru,
Qu'un grand chemin sur ma ressource,
Quand avec vous j'ai tout perdu !
Désir d'aller revient dans la cervelle
Du pauvre fou, d'ailleurs très bon bourgeois.
Il veut partir et se rappelle
Le trait de ses amis.
Ah ! bon pour une fois ;
Mais deux ce serait trop sans doute ;
Et puisque le hasard seul me rend mon argent,
Je veux le mettre au hasard sur la route,
Il l'y jette et s'en va content.
Avait-il bien sujet de l'être ?
Il pressa son retour : son or le rappela ;
Mais il avait déjà changé de maître.
Ah ! mes amis, dit-il, auront passé par là !
Amis et grands chemins, tout cela se ressemble :
De vous tous désormais je veux mẹ méfier.
Si je voyage encor vous n'aurez un denier,
Car mon argent et moi nous partirons ensemble.

De ses derniers écus il se charge en effet :
Il entreprend un troisième voyage,
Est pris par des voleurs dans un étroit passage,
Et revient ruiné de riche qu'il était.
Que faire en cet état funeste !
Ce que je veux, le fort ne le veut pas.
De ce couteau, seul meuble qui me reste,
Je veux me poignarder. Il en arme son bras.
Je fuis maître de moi du moins dans ma détresse ;
Et j'en puis disposer. Hé bien !
Un aigle fond sur lui, le désarme et le laisse,
En lui disant de ne compter sur rien.

Livre II, fable 3




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