Un élégant, quoique fort laid
(L'âme se peint sur le visage.),
Insolemment calomniait
Gens de tout rang et de tout âge.
Un tel, disait-il, est fripon ;
Tel autre n'est point honnête homme.
Celui - ci n'aura de pardon
Qu'après le voyage de Rome ;
Celui-là baise lâchement
La main qui l'insulte et le blesse,
Et va déchirer méchamment
La faible main qui le caresse.

Pour fournir à tous ses propos,
Chez ses amis il prenait ses victimes :
Après avoir épuisé leurs défauts,
Sans peine il leur prêtait des crimes,
Pour augmenter son recueil de bons mots.
Femmes galantes, ou coquettes,
N'étaient point en butte à ses traits ;
Avec plaisir il se mettait en frais,
Pour attaquer les plus honnêtes.
Adroitement il glissait le poison
Dont il savait l'atteinte sûre,
Et le moment de la blessure
Était celui d'une chanson.
Le peuple, toujours trop facile,
La recevait avidement :
La nouveauté d'un méchant vaudeville
Lui fait tout croire aveuglément.

Un jour, le malin personnage,
De parcourir les champs se donnait le régal :
Deux énormes Serpents fermèrent son passage,
Et d'un combat affreux donnèrent le signal.
Il crut de son heure dernière
Voir arriver l'instant fatal.
On voit toujours gens de ce caractère
Dans le danger qui se défendent mal.
Mais il ignorait sa ressource.
Les Serpents virent dans ses yeux
Qu'il puisait dans la même source
Le poison qu'il portait comme eux.
Mon frère, bannis tes alarmes,
Lui dirent-ils, en l'embrassant tous deux :
Jamais nous n'employons nos armes
L'un contre l'autre dans ces lieux ?
Va, ne crains plus rien pour ta vie ;
Les Serpents font tes frères, tes amis :
Comme eux, ton corps rampe et se plie ;
Parmi nous à jamais fois bien sûr d'être admis.
Continue à verser le poison de ta langue :
Imite-nous dans nos efforts ;
Et fais toujours l'honneur du corps.
Un doux baiser termina la harangue.

Revenu de cette frayeur,
Notre élégant reprit le chemin de la ville,
Toujours méchant, toujours reptile,
Mais à la fin dévoilé par bonheur.

Livre II, fable 2




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