Heureux cent fois qui n'a point de maîtresse !
Plaisir d'amour doit n'avoir qu'un moment.
Libre en ses goûts, jouir sans être amant,
C'est être heureux : je le dirai sans cesse.
Or, écoutez. Un jeune Tourtereau
Vivait content près de sa Tourterelle.
Le croira-t-on ? elle fut infidèle,
Et le quitta pour un amant nouveau.
Il gémit, il pleura : le tems vint à son aide.
Pour l'honneur de l'espèce il eût fallu mourir :
Il le savait bien ; mais, tout mal a son remède,
Et les cœurs font changés.
Il aima mieux guérir.
Il vécut seul et sans inquiétude ;
Se porta bien, ne prit point d'habitude ;
De branche en branche alla, se promenant ;
Quitta l'ormeau pour voler sur le chêne,
Puis sur les prés ; point d'amoureuse chaîne :
Par-ci, par-là, donnant quelque moment
A des plaisirs que le printemps seconde,
Sans s'engager mit Tourtereaux au monde,
Et, sans amour, ainsi vécut heureux.
Déjà deux fois cette saison chérie
Avait ému les oiseaux amoureux :
Le Tourtereau se choisit une amie,
Tête légère et par trop étourdie,
A l'amitié ne bornant point ses vœux.
Il s'enchaîna, redevint tendre,
Soumis, craintif, reçut des lois :
L'amour fit son malheur deux fois.
La Belle se faisait entendre
Aux Tourtereaux des environs ;
Avant le jour se trouvait éveillée,
Allait, venait sous la feuillée,
Et des galants écoutait les chansons.
Le Tourtereau ne fut point sans alarmes :
Un doux baiser rassurait ses esprits,
Et la coquette en avait plus de charmes :
Baiser d'amour calme un cœur bien épris !
Un beau matin, comme elle se promène,
Notre amoureux voltige à son côté ;
Filets tendus entourent une plaine ;
Tous deux font pris et le charme est ôté.
Renfermés dans la même cage,
L'amour fait place aux reproches amers ;
Et s'accusant l'un l'autre de leurs fers,
Ils se battent dans l'esclavage.
Un Tourtereau sujet à ce revers !
Et malheureux deux fois par sa femelle !
Ainsi l'oiseau le plus fidèle
A donc pu manquer de vertu ?
Ah, Tourterelle, Tourterelle !
Quel exemple nous donnes-tu ?