Trichka voit son caftan aux deux coudes percé,
Mais Trichka pour si peu n'est pas embarrassé :
Il prend ciseaux, aiguille, et, zeste ! il vous retranche
Sur chaque bras un quart de manche,
Adapte les morceaux à l'endroit déchiré,
Et te caftan est réparé.
Mais Trichka voit avec surprise
Que le quart de ses bras va souffrir de la bise :
Bah ! voila bien de quoi se mettre en grand souci!
Pourtant autour de lui l'on fait maint commentaire.
« Je ne suis pas un sot, dit Trichka; Dieu merci !
J'ai reméde nouveau pour arranger l'affaire ;
Attendez, et je vous promets
Que mes manches seront plus longues que jamais.
Ce Trichka n'était point un garçon ordinaire ;
Prenant donc la besogue à coeur,
En rond de son caftan il raccourcit la robe,
Et rend aux manches leur longueur
A l'aide des moreeaux qu’à sa jupe il dérobe.
Mon Trichka, tout joyeux, croit son succès complet,
Mais il porte un caftan... qui n'est plus qu'un gilet.
J'ai vu certains messieurs dont tout le temps se passe
A réparer leurs biens que lusure attaqua ;
Regardez-y de près : leur orgueil se prélasse
Dans le caftan de mon Trichka ?
Notes de l'auteur : Kvilof s‘attaque ici à cette imprévoyance si commune aux races slaves, imprévoyance si générale dans l'économie de la vie domestique russe, et dont le résultat n'eût pas manqué de se faire sentir à notre poète lui-même, si l'empereur Alexandre 1er n'y avait mis bon ordre.
» D'où vient que tant de grandes fortunes sont aujourd'hui délabrées en Russie, ou engagées a la Banque de crédit, qui ne fournit souvent à l'emprunteur que les ciseaux de Trichka ? Tout cela vient de cet esprit de bizarre économie qui aime les larges façons et les grandes manières, de cette horreur des chiffres et du souci du lendemain inhérente au caractère russe. » (C. de Saint-Jullien).
[Aux races slaves ?? L'auteur propose-t-il donc ici de ne pas oublier de ses faire du souci ? Je ne sais pas si telle est la morale de cette fable.]