Le Chien et le Chat Jacques Peras (18è)

Sous les dehors de l'affabilité,
Bien souvent l'homme n'est qu'un traitre,
Et fait aux mouvements de la duplicité.
C'est un Prothée, il est ce qu'il veut être,
Homme du jour et vicieux par choix,
Trop de sincérité le blesse ;
La cordialité tant prisée autrefois,
Aujourd'hui n'est plus que faiblesse ;
On ridiculise un cœur droit,
On subtilise l'innocence,
A tromper chacun est adroit,
Et s'il est des vertus, ce n'est qu'en apparence.
J'avouerai cependant qu'on peut trouver encore
Des hommes vertueux ; il est vrai qu'ils font rares
Pour nous les prodiguer les Dieux font trop avares :
Mais enfin il en est ; oui, j'en tombe d'accord.
Ainsi, charmant DESYEUX, ami de la Justice,
Permettez qu'en mes Vers je place votre nom,
Vous en qui je connais un cœur sans artifice,
Un esprit vif guidé par la raison,
Un doux et liant caractère
Qui, sans bleffer, donne le ton
À la Sagesse trop austére.
Le goût et le bon sens toujours à l'unisson
Forment en vous une belle harmonie
Qui découvre les qualités
D'un rare et solide génie.
Invincibles Héros, Demi-Dieux tant vantés,
La victoire est toujours pour vous le bien suprême
Elle maîtrise tous vos sens ;
Mais je ne donne mon encens
Qu'à qui sait se vaincre soi-même.

Je lus étant fort jeune, et je m'en souviens bien,
Qu'un Chat ruse fripon et de Race Normande,
Sans cesse chicannait un Chien ;
Un beau jour il lui fit demande
De telle portion d'un bien
Qu'il disait être à lui, rien de plus faux au monde.
Le Chien dit, ah, ah ! Maître Chat
M'attaque ? il faut que j'y réponde,
Et que je fasse voir qu'il est un scélérat.
Je n'entends pas la procédure !
N'importe, j'ai bon droit, c'est sur quoi je m'affure.
Comme il parlait ainsi, vint un de ses amis,
Un autre Chien, qui savait l'aventure,
Et qui lui donna cet avis.
Le Chat est un franc misérable,
Qui te fait un mauvais procès ;
Mais accommode à l'amiable,
Sinon crains un triste succès :
Tu crois gagner et tu t'abuses,
Le Fripon en son sac a toujours mille ruses.
La vérité, répliqua le Plaideur,
Est mon appui, tout parle en ma faveur ;
Il ne peut alléguer que de vains subterfuges.
Son ami lui répond, ne soit pas entêté ;
La Justice est de ton côté,
Mais le Chat a pour lui les Juges.

Livre I, fable 21




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